Sécurité, fiabilité, interopérabilité, traçabilité, transparence… sur le papier, la blockchain a tout pour plaire. Malgré toutes les vertus qu’on lui prête, cette technologie demeure un mystère pour beaucoup, à commencer pour les patients. Pourtant, à en croire les experts, elle est susceptible de répondre à toutes les problématiques inhérentes à la gestion des données de santé.
Privilège de la nouveauté, la blockchain mobilise tous les regards. Si elle fait figure de technologie éprouvée dans le milieu de la finance et de la logistique, elle n’a fait son apparition dans l’univers de la santé qu’il y a deux ans environ. Pour l’heure, on compte quelques expériences dispersées.
La blockchain n’est pas un phénomène de mode. Mais, il est vrai que malgré ses dix ans d’existence dans des secteurs comme la finance, c’est une technologie qui apparaît comme jeune. Or, elle donne déjà des signes de maturité.
explique Jean-Frédéric Petit-Nivard, innovation manager chez Roche.
La notoriété de cette technologie se justifie surtout par les bénéfices qu’elle laisse entrevoir : sécurisation des échanges des données concernant les patients, amélioration de la conduite des essais cliniques, optimisation de la traçabilité des médicaments… « Aujourd’hui, tout le monde parle de blockchain sans trop savoir de quoi il s’agit réellement. Dans un premier temps, il est important de dissiper le brouillard. C’est d’ailleurs l’objet du livre blanc publié par Roche en collaboration avec la Banque publique d’investissement et plusieurs autres partenaires », souligne Jean-Frédéric Petit-Nivard.
Technologie initialement associée aux monnaies virtuelles, la blockchain consiste, comme son nom l’indique, en une « chaîne de blocs ». Une sorte de base de données décentralisée et hautement sécurisée, tenue par tous les acteurs qui y ont accès. Et plus la chaîne s’étend, plus elle contient de maillons qu’il faudrait, pour un acteur mal attentionné, “briser et remplacer” auprès de tous les acteurs en même temps, ce qui est impossible. Autrement dit : la sécurité se nourrit de la collaboration entre les acteurs. Mais pour mieux comprendre la blockchain, le mieux reste d’envisager des usages concrets capables de fédérer des acteurs du soin. Premier exemple : la gestion des consentements patients dans le cadre d’études cliniques. A un moment où il est parfois compliqué de retrouver tous les éléments qui attestent de la bonne information des patients, cette technologie garantirait qu’un document a bien été transmis et participerait à certifier la démarche qualité mise en œuvre.
Dans le système de blockchain, toute action laisse une empreinte infalsifiable dans le système.
prévient Jean-Frédéric Petit-Nivard.
Autre exemple : le projet collaboratif Substra, financée à hauteur de dix millions d’euros par la BPI, et qui vise à développer le potentiel de l’intelligence artificielle en santé dans un cadre éthique. S’il est aujourd’hui fastidieux de débuter tout traitement de données à cause des autorisations préalables longues à obtenir, la blockchain autoriserait un contrôle immédiat par les autorités. « Par le climat de confiance et le contrôle en temps réel qu’elle instaure, la blockchain donnerait la possibilité de lancer plus rapidement plus de projets tout en replaçant le patient au cœur de la stratégie misant sur l’innovation en santé », analyse Jean-Frédéric Petit-Nivard. Cette attention éthique a d’ailleurs donné lieu au projet MyHealthMyData pour concevoir un modèle européen de blockchain pour la santé compatible avec le nouveau règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) applicable dans l’Union européenne.
Face aux coûts de gestion importants, aux risques de pertes mais aussi la probable sous-utilisation des centaines de milliers de données créées chaque jour par les médecins, les hôpitaux, les assurances publiques/privées, les laboratoires pharmaceutiques et autres start-up, la blockchain est avancée comme une solution, si ce n’est LA solution. Associée aux programmes développés par plusieurs laboratoires pharmaceutiques dans le cadre du suivi de patients, elle permettrait une gestion transparente, sécurisée et infalsifiable des données des patients. Mais aussi un partage de ces données restreint aux principaux acteurs concernés. Et tout cela au bénéfice du patient qui saurait où sont ses données et qui y a accès. Si bien, qu’ayant désormais le contrôle, il pourrait envisager de monétiser ses propres données de santé ! C’est en tout cas l’une possibilité offerte par cette technologie. Placer les patients au centre de l’exploitation de leurs données, c’est l’ambition de la start-up Embleema, via son application PatientTruth. Ladite application aide les patients à partager en ligne leurs informations avec la communauté médicale. Rappelons toutefois qu’en France, à l’inverse des États-Unis, la rémunération des personnes pour leur données de santé n’est pas encore dans les mœurs.
Aussi probants soient-ils, ces exemples d’utilisation de la blockchain n’annoncent pas pour autant une révolution certaine. Impossible, en effet, d’imaginer une adoption rapide et à grande échelle de cette technologie dans le secteur de la santé. Il faudrait pour cela disposer de données 100% numériques et de logiciels interopérables chez tous les acteurs. Par ailleurs, fédérer tous les professionnels du soin est loin d’être aisé. Jean-Frédéric Petit-Nivard confirme : « Pour l’heure, nous n’en sommes encore qu’à l’étape du concept même si les choses semblent évoluer dans le bon sens. Il y aura révolution lorsque les usages auront changé. Il est également important de trouver le bon sujet pour utiliser la technologie blockchain comme ont réussi à le faire les acteurs de la banque. Un domaine intéressant d’usage de la blockchain pourrait être celui des maladies rares permettant aux patients de partager leurs données au profit de la recherche. »
La première est d’ordre technique, et concerne le déploiement à grande échelle de cette technologie, pour gérer une quantité astronomique de données et le temps de validation que cela sous-entend. Sur le plan du droit, on peut également s’interroger sur la valeur juridique d’un code informatique pour accéder aux informations de la blockchain. Enfin, d’un point de vue éthique, le droit à l’oubli inscrit dans le RGPD semble être mis à mal par le caractère infalsifiable de la blockchain.
Au final, le plus grand défi que devra surmonter la blockchain est certainement le manque de confiance des patients vis-à-vis de l’exploitation de leurs données de santé. « Ils craignent, à tort ou à raison, les comportements déviants. Ces derniers peuvent se produire à partir du moment où on utilise une fragilité – la maladie en l’occurrence – pour opérer une discrimination négative. Comme par exemple, un assureur qui modulerait le coût de ses primes en fonction de déterminants de santé de ses clients. », prévient Jean-Frédéric Petit-Nivard. Le manque de compréhension est aussi, à n’en pas douter, un frein au développement de la blockchain. « Elle est associée à des images plus ou moins négatives telles que le bitcoin ou le dark web. Il faut dépasser cela et permettre aux acteurs du soin et aux patients d’accéder à une information de qualité sur le sujet », poursuit Jean-Frédéric Petit-Nivard. Il soutient que les associations de patients ont un rôle-clé à jouer, citant au passage le projet Moi Patient porté par l’association Renaloo. De quoi prouver que les associations de patients peuvent endosser le costume de tiers neutre de confiance entre les industriels, les autorités, les chercheurs et les patients.
Co-fondatrice et directrice des opérations de 23 consulting, une start-up française spécialisée dans l’accompagnement des organisations du secteur de la santé sur leurs projets blockchain, Anca Petre est une spécialiste du sujet en France. La chercheuse en e-santé revient, pour Innov'Asso, sur le « tsunami digital » qu’est la blockchain et que doivent désormais appréhender à la fois les communautés médicales et les patients.
Thèse, conférences internationales, publications, formations : vous multipliez les actions pour promouvoir l’utilisation de la technologie blockchain dans le système de santé.
Quel(s) enjeux y voyez-vous ?
Anca Petre : Plus je travaille sur la blockchain et plus je me rends compte de son potentiel sur des cas d’usage en santé. Mais la blockchain n’est pas une baguette magique. C’est un outil de disruption qu’il faut envisager sur le long terme et de façon intégrée. A elle seule, elle ne constitue pas une révolution. Le changement de paradigme dans le secteur de la santé s’opère surtout avec l’arrivée des technologies digitales. La blockchain a un rôle important à jouer mais elle n’est pas la seule.
Le concept même de blockchain paraît souvent abstrait. Avez-vous un exemple concret d’utilisation de la blockchain dans le domaine de la santé ou de l’industrie pharmaceutique?
A.P : Toutes les applications pour lesquelles le patient entre ses données de vie réelle comme le nombre de pas réalisés, la fréquence cardiaque, les heures de sommeil…. relèvent de la blockchain. Elle permet une relation plus directe entre le détenteur/générateur de données qu’est le patient et les exploitants de ces données que sont les professionnels de santé, les chercheurs ou les laboratoires pharmaceutiques. Dans le cas des deux derniers exploitants cités, le patient peut même être rémunéré. C’est d’ailleurs le cas aux Etats-Unis. En France, ce n’est pas encore dans les mœurs mais en théorie la possibilité existe. Dans le cadre des maladies rares, la technologie blockchain pourrait être un outil efficace pour faire face à la rareté des cas et à la dispersion des patients. Et pour accélérer ainsi la mise au point de traitements.
Quelles sont les difficultés pour mettre en œuvre la technologie blockchain ?
A.P : D’abord, il faut savoir que le cadre réglementaire qui régit la gestion des données personnelles – le Règlement général sur la protection des données (RGPD) – s’applique à la technologie blockchain. Nombre de start-up négligent ce point dans leur process de développement, par méconnaissance. La définition de la gouvernance du réseau distribué qu’est la blockchain représente un autre enjeu de taille. En d’autres termes : qui pourra faire quoi sur la base de données ? Qui pourra les lire? Qui pourra les modifier? Répondre à ces questions de fonctionnement est essentiel pour s’assurer de l’efficacité de la blockchain. Cela doit être fait en amont. Sur le plan éthique, la technologie blockchain est une avancée considérable car elle apporte transparence et intégrité.
Pour autant, la mise en œuvre de la blockchain semble complexe car elle sous-entend de mettre autour de la table des acteurs aux intérêts divergents…
A.P : C’est exact. Voilà pourquoi les experts de cette technologie continuent aujourd’hui à réfléchir aux meilleurs moyens de collaborer. Nous devons distinguer deux axes. Le premier concerne le cas d’usage traditionnel regroupant un nombre important de parties prenantes comme, par exemple, tous les acteurs de la chaîne de distribution et de traçabilité des médicaments. Les études de phase 4, par exemple, nécessitent la coopération d’un grand nombre de parties prenantes. Le second axe induit une échelle plus réduite de 3 à 4 parties prenantes, si bien qu’il est plus simple de se mettre d’accord. Il ne faut pas perdre de vue que, l’acteur central de la blockchain reste le patient. Il faut donc impérativement lui donner envie de faire confiance à cette technologie car c’est dans son intérêt. Ce travail de pédagogie peut se faire grâce aux associations de patients par exemple, tant elles peuvent jouer un rôle d’évangélisation.
Les associations de patients ont donc un rôle à jouer dans le développement de la blockchain ?
A.P : Oui, c’est indéniable. Elles sont au cœur de cette technologie qui repose sur la confiance du patient à transmettre ses données personnelles de santé. Il est donc important que les associations de patients se positionnent pour participer à la réflexion générale. Cette technologie est une occasion donnée aux patients de jouer un rôle central dans le fonctionnement du système de santé de demain. J’ai en tête le dispositif Embleema qui implique les associations Vaincre la Mucoviscidose, France Asso santé ou encore l’alliance maladies rares. En offrant la possibilité de rétribuer le patient, le nouveau business model se veut attrayant pour tous.
Quelles sont les perspectives offertes par la blockchain pour construire un système de santé plus efficient ?
A.P : Nous pouvons imaginer la blockchain utilisée dans le cadre de la matériovigilance afin de cartographier les dispositifs médicaux. Aujourd’hui, chaque établissement tient son propre registre. Le document doit permettre de savoir quel dispositif a été implanté, pour quel patient, et à quel moment. Il est assez difficile d’organiser des échanges de données entre établissements. On peut imaginer que ces derniers alimentent une unique base de données à laquelle les autorités de santé auraient un droit d’accès. La technologie blockchain pourrait donc faciliter le partage d’informations médicales avec tous les acteurs du secteur, en toute intégrité. Cette mission s’inscrit parfaitement dans ses trois usages principaux : créer des registres de traçabilité, enregistrer des échanges d’un destinataire à un autre et partager des données à une communauté restreinte d’utilisateurs définis et autorisés.
C’est le terme à la mode quand on évoque les données de santé, et particulièrement leur partage et leur sécurisation. Mais que se cache-t-il derrière le terme blockchain ? En quoi le concept est-il révolutionnaire et comment pourra-t-il être la base du système de santé de demain ? Innov'Asso décrypte le phénomène blockchain en cinq points.
Aujourd’hui, l’hébergement de la donnée se fait de manière centralisée. Par exemple, à l’échelle d’une clinique ou d’un hôpital – il s’opère principalement via un serveur unique ou un support de type Cloud. Ce type d’organisation est intrinsèquement vulnérable puisqu’il constitue une seule et unique cible pour les « acteurs malveillants ».
⇒ La solution blockchain : une logique de décentralisation. L’information est stockée à plusieurs endroits différents. Plus la chaîne s’étend, plus elle contient de maillons. Pour modifier ou supprimer une information, il est obligatoire de le faire auprès de chaque acteur.
Résultats d’une échographie, d’un scanner, d’un bilan sanguin, une addiction… Des données collectées, en grande quantité, par les médecins, les laboratoires, les hôpitaux, les cliniques. Des données qui peuvent être les cibles de cyberattaques.
⇒ La solution blockchain : un dossier médical en mode blockchain. Le patient serait doté d’une clé privée qui lui permettrait de gérer l’accès à ses données. Il pourra ou non donner l’accès à des professionnels de santé et ainsi s’assurer du respect de sa vie privée.
Les systèmes et logiciels actuellement utilisés par les différents acteurs de santé sont très hétérogènes. Comment alors leur permettre de mieux s’organiser et coopérer, pour un meilleur suivi du patient et une meilleure exploitation du volume croissant de données ?
⇒ La solution blockchain : l’interface de programmation applicative (désignée par le terme API) permettrait à différents systèmes de dialoguer avec une seule et même blockchain. L’interopérabilité donnerait ainsi accès à un plus grand nombre de données issues de sources diverses.
Malgré les multiples codes servant à authentifier et à suivre les produits pharmaceutiques, les modalités de traçabilité gagneraient à être optimisées pour lutter contre la contrefaçon par exemple, mais aussi répondre efficacement aux urgences de matériovigilance (rappels de dispositifs médicaux défectueux…).
⇒ La solution blockchain : il s’agit d’améliorer la chaîne de suivi de l’industrie pharmaceutique comme c’est déjà le cas dans d’autres secteurs (le fret ou le luxe). En intégrant l’ensemble des acteurs de la chaîne (industrie, service de livraison, officine) dans une blockchain privée, le dispositif assurerait une meilleure traçabilité des médicaments de leur fabrication jusqu’à l’armoire à pharmacie du patient. De la même manière, il serait possible de suivre les vaccins, le don d’organes ou encore les dispositifs médicaux implantables.
L’utilisation de la blockchain dans notre système de santé n’est pas pour demain. La faute à une absence d’interopérabilité entre les différents systèmes informatiques en matière de santé (celui de l’assurance maladie, celui de chaque hôpital, celui du Dossier médical partagé). D’autres problématiques doivent aussi être solutionnées en amont : les modalités de collecte des données, le devenir des fichiers préexistants, la gestion de la volumétrie exceptionnelle des données. Un autre frein réside dans les différences de réglementation à l’échelle internationale. Elles sont à l’origine d’un déséquilibre entre les pays quant à l’accès à des technologies de pointe. Enfin, la question de la sécurité demeure dans la mesure où les systèmes et logiciels qui détiennent actuellement les données ne sont pas inviolables. Et quid de la sécurité quand le patient sera dans l’incapacité de donner sa clé privée au professionnel de santé chargé de le soigner ?
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