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Et si la crise sanitaire était l’occasion de prendre un peu de hauteur ?

Une fois n’est pas coutume, Innov’Asso se penche sur le point de vue de philosophes, de sociologues et d’anthropologues pour prendre un peu de recul sur la pandémie de Covid-19 et les bouleversements que nous traversons depuis désormais plusieurs mois.

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Ces chamboulements ne laissent personne indifférent, tant ils impactent nos quotidiens. Chacun s’organise pour retrouver des repères et chercher du sens.

Beaucoup de Français se sont plongés dans la littérature pour tenter de faire face. La levée de boucliers contre la fermeture des librairies en témoigne. Les ventes de « La peste » de Camus ou de « La peste écarlate » de Jack London ont explosé ces derniers mois. Lire pour s’évader, mais aussi pour s’interroger sur ce fléau de la pandémie en révisant ses classiques.

Si la lecture est d’un grand secours, la  philosophie peut nous aider à surmonter cette épreuve collective. Marie Robert, philosophe et enseignante, explique que nous sommes en effet dans un temps éminemment philosophique.

Faire du confinement un moment vivant et vibrant

Dans ces moments de panique ou de vertige que nous vivons, de nouveaux espaces de réflexion se créent.

« Le confinement n’est pas forcément un temps mort, il ne tient qu’à nous d’en faire un moment vivant et vibrant », explique-t-elle dans un podcast de l’ADN.
Le confinement est un terreau propice à la création, une période où il est nécessaire d’écouter ce qui nous traverse, sans céder aux injonctions de performance… « La réflexion passe par une douceur à l’égard de nous-mêmes », estime-t-elle. Nous avons besoin d’aérer notre pensée, dans un contexte où la normalité a disparu.
Au-delà du flot émotionnel, nous sommes dans le temps de l’incertitude avec des conséquences lourdes bien que difficiles à évaluer. « Si on se laisse envahir par nos certitudes, on ne peut que mal vivre cet instant. La philosophie n’est pas un outil d’organisation, mais un appel à trouver sa cadence, et à prendre des distances avec le surmenage médiatique et tout ce qui peut nous oppresser. Ce moment est intéressant, car il nous oblige à réfléchir », précise-t-elle. S’il s’agit bien de mener une guerre contre un ennemi pour notre système immunitaire, on ne peut avoir recours aux mêmes codes et aux mêmes repères que dans un conflit classique.

« Pour nous protéger, on doit se mettre à l’écart les uns des autres, mais dans le même temps, nous sommes plus connectés que jamais. La situation que nous traversons suppose de réinventer le collectif. Paradoxalement, alors que nous sommes confinés, nous faisons communauté », ajoute la philosophe. À ses yeux, le confinement est comme un appel à l’autre, avec un réel besoin de le rejoindre, quelle que soit la façon de le faire. Pour penser ce temps collectif, il faut nous ancrer et nous aligner. Nous sommes acteurs, non pas de ce qui se joue, mais de ce qui pourrait éclore. À nous de communiquer, de proposer … bref de participer.

« Plutôt que de subir un méta-récit, nous pouvons mener des micro-actions. De nouvelles initiatives sont déjà en train de se mettre en place », observe Marie Robert.

Changer la société

Oui, il faut que nos sociétés évoluent, mais pour cela, nous devons être en mesure de penser dès maintenant la sortie de crise.

Pas évident, selon la sociologue Dominique Meda, quand on voit à quel point la crise sanitaire met en lumière les inégalités sociales et souligne les fractures de notre pays.
Selon elle, l’après coronavirus ouvre une brèche pour répondre aux enjeux soulevés pendant le confinement . « On perçoit un bouillonnement extraordinaire. On entend à nouveau la parole des scientifiques et pas juste les médecins. Ce qui monte, c’est un profond désir de changement. Il est très important de comprendre ce qui se passe et d’évaluer ce que nous voulons garder et ne pas garder », souligne-t-elle.
Comme elle l’explique dans ses livres et dans de nombreuses interviews, il y a un véritable fossé entre d’un côté le prestige et de l’autre l’utilité sociale. Les professions qui ont été en première ligne ne sont pas les plus considérées. Infirmières, aide-soignantes, caissières… ce sont souvent des femmes, très peu protégées et mal rémunérées qui ont été envoyées au front.
Interviewée sur France Culture, la sociologue explique qu’il faut à présent faire les bons choix pour préparer les prochaines crises : « il faut produire certains produits en plus grand nombre et relocaliser la plupart de nos productions dont les plus stratégiquesIl faut une autosuffisance des territoires. On a fermé très récemment des usines qui fabriquent des bouteilles d’oxygène et de masque pour raisons économiques, cela n’est plus possible. »

Face à la transition climatique et aux évolutions sociétales, il convient de changer nos modes de consommation : « si on relocalise nos entreprises, un certain nombre de produits seront plus chers. On va devoir changer nos mentalités pour remplacer nos pulsions de consommation afin d’empêcher que des crises plus graves adviennent ».

La sociologue met en avant l’intérêt d’une relance verte, afin de profiter de la crise sanitaire pour mieux préparer la société à la crise écologique que l’on va connaître.

La crise, une occasion à saisir pour changer nos modes de vie…

Frédéric Keck en est convaincu aussi : il est temps de réfléchir et de changer nos modes de vie.
Directeur de recherche au CNRS et directeur du Laboratoire d’anthropologie sociale, il a beaucoup écrit par le passé sur les risques alimentaires et les catastrophes sanitaires. Auteur d’Un monde grippé et de Les Sentinelles des pandémies, il pense que cette crise peut servir de déclic pour une mutation vers une société plus solidaire davantage centrée sur l’humain.
Selon lui, depuis les années 1970, notre mode de développement a produit plus de maux que de biens, à commencer par l’émergence de maladies infectieuses transmises par les animaux sous l’effet de changements anthropiques.
Dans les colonnes du Monde, il déplore que les alertes au changement climatique aient été peu entendues. « Le confinement, génère à la fois une accélération des signes du changement écologique et un ralentissement de l’activité économique. Cela est propice à la réflexion sur notre mode de développement », observe-t-il.

Il en est convaincu : on ne pourra pas revenir au business as usual après cette crise.

… mais aussi notre rapport au travail

Si le rapport à l’autre, à la consommation et au climat fait l’objet de réflexions, c’est aussi notre relation à l’activité professionnelle qui se retrouve chamboulée.
Comme le reste de la société, le monde du travail est grandement affecté par l’épidémie de coronavirus. Et des questions profondes quant à la refonte de l’emploi refont surface. Et si cette période était un tremplin nécessaire pour penser le travail de demain ?
C’est en tout cas le point de vue de Pascal Dibie, ethnologue, professeur des universités et auteur de « Ethnologie de bureau : Brève histoire d’une humanité assise ». À ses yeux, le télétravail pouvait être un rêve d’émancipation du système hiérarchique habituel du bureau. Il est devenu une réalité : « je crois que le confinement a permis de prendre une certaine distance. Les générations actuelles ne veulent plus du système hiérarchique traditionnel, ni des contrôles comme on les opérait jusqu’à maintenant. Il faut leur faire confiance. Jamais il n’y a eu de génération aussi disciplinée que celle qui passe son temps devant un ordinateur et qui travaille beaucoup plus qu’elle ne se repose ».

Il ne pense pas pour autant que les bureaux vont totalement disparaître, mais il y aura sûrement davantage d’alternance entre télétravail une ou deux fois par semaine et vie de bureau le reste du temps pour avoir les échanges et créer du lien social.
C’est très important, car comme il le rappelait sur France Culture : « la vie de bureau est un microcosme qui a des répercussions sur l’ensemble de la société. C’est un espace dans lequel on fait société. Ne plus pouvoir être dans cet univers qui permet de s’échapper de soi-même pose des questions psychologiques très importantes ».

On le voit, la crise sanitaire n’a pas fini de nous faire réfléchir. À la fois sur ce que l’on vit, et sur la meilleure façon d’y faire face. Mais aussi sur la façon dont, ensemble, nous pouvons faire société, de façon aussi sereine que possible, dans les années à venir.

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