Les associations au cœur de l’innovation en santé

Numérique en Santé, tous égaux face aux progrès

L’accès au numérique en santé : tel était l’objet d’une table ronde virtuelle organisée le 17 juin dernier par la Fondation Roche, la Croix Rouge et WeTechCare. Comment rendre le numérique en santé accessible à chaque citoyen ? Comment démontrer aux Français tout ce qu’ils peuvent en tirer et les accompagner pour mieux en bénéficier ? Les participants ont partagé leurs visions, en s’appuyant sur une enquête menée par Harris Interactive.

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« Le numérique, ce sont de nouveaux outils, de nouveaux services, mais surtout une nouvelle grammaire. C’est pourquoi son déploiement doit être accompagné. Le rendre accessible et acceptable par tous, partout, est un impératif qui guide l’action du Gouvernement, des collectivités, des territoires, des associations et des entreprises », ainsi s’exprime Cédric O, Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques en préambule de l’Observatoire de l’accès au numérique, lancé par la fondation Roche. Cette dernière s’est donnée pour mission de mettre les données de santé au service des patients pour faire avancer la santé de demain. Afin de se faire l’écho des perceptions et des attentes des Français sur le numérique en santé, les équipes de la Fondation ont sollicité un sondage, mené auprès d’un échantillon représentatif . « Notre objectif est de favoriser l’émergence d’un numérique plus inclusif », a rappelé Stéphanie du Boucher, Secrétaire générale de la Fondation Roche. En avril dernier, un appel à projet a donc été mené pour identifier et soutenir des solutions permettant une meilleure inclusion sur le numérique en santé. En effet, le numérique, s’il offre des solutions pour mieux communiquer, simplifier l’accès à des services publics, se soigner… crée aussi des risques d’exclusion.

Le 1er observatoire de l’accès numérique en santé

Les équipes d’Harris Interactive ont sélectionné 2000 Français dans le cadre d’un échantillon représentatif pour bâtir le 1er observatoire de l’accès numérique en santé. A l’occasion de cette table ronde qui s’est déroulée le 17 juin dernier, Jean-Daniel Levy, Directeur Délégué d’Harris Interactive a délivré les principaux enseignements de ce sondage.

  • Les Français ont le sentiment d’utiliser de manière satisfaisante les outils numériques dans le domaine de la santé et les perspectives les rendent optimistes
  • Au cours de la période récente, 71% des Français déclarent avoir déjà eu recours à des plateformes comme Doctolib ou Maiia.
  • Les Français sont satisfaits voir très satisfaits des outils qu’ils utilisent :
    • Pour les prises de rendez-vous médicaux en ligne : 92%
    • Pour les plateformes de téléconsultation : 88%
    • Pour les sites et applications de santé mis en place par le gouvernement : TousAntiCovid, Dossier Médical Partagé, Améli… : 86%

Le développement des technologies en santé est teinté d’optimisme :

– 9 français sur 10 estiment que ce développement est une très bonne chose

– 3 français sur 4 pensent que l’utilisation de ces outils permettra d’améliorer leur suivi médical dans le futur

– 9 Français sur 10 se disent satisfaits par les plateformes de prises de rendez-vous.

Mais il faut toutefois relativiser l’enthousiasme puisque 50% des Français déclarent ne pas être suffisamment à l’aise pour utiliser pleinement les outils numériques et craignent d’être moins bien soignés à l’avenir s’ils ne maîtrisent pas suffisamment les outils numériques.

Pour Jacques Lucas, Président de l’Agence du Numérique en Santé, c’est surtout l’optimisme de la population concernant le développement des usages qu’il convient de relever : « cette enquête vient contredire les visions pessimistes selon lesquelles le numérique va déshumaniser la relation entre le patient et le professionnel de santé ».  Certains Français ont l’impression d’être éloignés du système de santé en raison de critères géographiques, ou  de délais d’attentes trop longs, mais il existe des solutions auxquelles le numérique peut contribuer. Ces solutions sont différentes selon les territoires et en fonction de la coopération concrète entre la médecine de ville et les établissements publics.

La crise a transformé les usages

Marguerite Cazeneuve, Directrice déléguée à la gestion des soins et à l’Assurance Maladie, a elle aussi réagi face à cette ambivalence exprimée par les Français vis-à-vis du numérique en santé, en rappelant que la crise a transformé les usages La crise sanitaire a bouleversé notre système de santé au sens où elle a permis une appropriation du numérique par l’ensemble des acteurs. Force est de constater que les patients se sont appropriés des outils, comme TousAntiCovid. Le numérique va continuer d’améliorer la pratique médicale avec la mise en place d’outils de coordination entre professionnels.

Accès aux soins et au numérique : les inégalités s’additionnent

 « 76% des Français perçoivent le système de santé comme comportant des inégalités pas forcément pour eux, mais d’un point de vue général. Plus d’un tiers ont le sentiment de vivre dans un désert médical », relève Jean-Daniel LevySeulement  8% des répondants reconnaissent être « défavorisés » dans l’accès à la santé. 1/3 déclarent n’être ni favorisés, ni défavorisés. En dépit des inégalités perçues, une forte majorité de Français (9/10) déclarent être satisfaits des soins. Parmi les habitants qui se sentent les plus « privilégiés », figurent ceux des régions Bretagne et PACA.

Enfin, 13% des Français alors même qu’ils ont été interrogés en ligne et non pas par téléphone déclarent mal maîtriser les outils numériques. On peut distinguer 4 types de profils

1er profil : les exclus du numérique 6 français sur 10 disent : « dans mon entourage je connais au moins une personne que je considère comme étant exclue du numérique ».

2ème profil : Les éloignés du numérique : ils représentent 13% de la population française et sont très représentés chez les plus âgés. Ils ont une perception plus négative du numérique que la moyenne de la population française et pensent qu’ils n’augmenteront pas leur usage des outils numérique dans l’avenir.

3ème profil : Les usagers ordinaires : ils représentent 58% de la population française et sont surreprésentés chez les femmes (61% contre 54% chez les hommes). Ces personnes se sentent plutôt en bonne santé et n’ont pas de difficultés pour s’orienter dans le système de soin (76% sont à l’aise). Elles perçoivent de façon positive le numérique en santé : 56% considèrent qu’il s’agit d’une très bonne chose contre 31% en moyenne. 40% d’entre eux considèrent que les outils numériques dans le domaine de la santé vont être très utiles pour améliorer leur propre santé

4ème profil : Les experts . Ils représentent 28% de la population française et sont surreprésentés chez les hommes et chez les jeunes. Ils sont très confiants et considèrent que les outils en santé sont très utiles pour améliorer leur santé.

Giovanna Marsico, Déléguée au service public d’information et santé a réagi à ce tableau. Elle pilote le groupe de travail « fractures numériques » au sein du ministère de la santé. Selon elle, les usages ne sont pas nécessairement « acquis » dès la simple mise à disposition de la technologie. Par ailleurs, elle observe qu’il faut distinguer :

– les fractures de premier degré (l’accès au réseau), 

– de deuxième degré (l’accès à l’équipement)

– et de troisième degré (la capacité des personnes d’utiliser, d’exploiter ces technologies).

 « Oui, les fractures numériques constituent un vrai obstacle pour l’accès à la santé mais également à la vie quotidienne. La délégation ministérielle du numérique en santé a, parmi d’autres missions, celle de faire monter en compétences les usagers et les professionnels de santé, afin que tout le numérique puisse faciliter l’accès de chacun à la santé. L’exemple de Santé.fr est éclairant : depuis le 15 janvier dernier, plus de 100 millions de visiteurs ont consulté les services concernant la lutte contre la Covid-19 », a-t-elle déclaré. Le ministère de la santé prend clairement en compte ces enjeux et s’emploie à démocratiser l’accès au numérique en santé.

Elle distingue :

–   les compétences instrumentales (comment manipuler le matériel, les logiciels, résoudre les bugs),

–   les compétences structurelles (comment rentrer dans la logique du format numérique de l’information et des contenus en ligne)

–   et enfin les compétences stratégiques, c’est-à-dire l’aptitude à utiliser l’information de manière proactive et à lui donner du sens dans son propre cadre de vie.

Grégoire Ducret, directeur de l’innovation et de la transformation de la Croix Rouge Française a de son côté expliqué les actions menées pour accompagner les exclus du numérique : « Le numérique n’est pas une fin en soit, c’est un moyen. Il vient creuser les fractures sociales qui existent déjà. Certaines personnes ont des difficultés pour accéder à leur parcours de soin ». Les outils numériques dans le domaine de la santé sont pourtant un formidable accélérateur qui facilite la communication et le lien social, mais aussi les usages thérapeutiques, comme en témoigne le développement de la télémédecine. Il permet par ailleurs une meilleure transversalité entre la médecine de ville, l’hôpital et les établissements du médico-social.

L’espace numérique en santé peut apporter des réponses pour limiter cette exclusion

L’espace numérique de santé c’est un gros chantier mené dans de très courts délais. 2 milliards vont être investis dans le numérique en santé pour rattraper notre retard sur le numérique en suivant toutes les recommandations partagées par l’ensemble des acteurs du système de santé

estime Marguerite Cazeneuve.

Elle rappelle que cet outil a été construit pour chaque professionnel de santé en fonction de ses besoins. Un cahier des charges a été établi pour répondre aux attentes. Pour les patients, la plateforme propose une synthèse médicale, les résultats de biologies, de radiologies, tous les comptes rendus médicaux et une messagerie sécurisée pour pouvoir échanger avec les professionnels de santé. Au programme également : un agenda connecté et un store d’applications labellisées pour alimenter automatiquement le dossier médical du patient et donc ses données de santé. A l’heure actuelle, le numérique est une forme de far West peu réglementé. L’objectif de « mon espace santé » est précisément de poser le cadre qui va permettre au privé de se développer de manière intelligente pour le système de santé. Après quelques pilotes, la généralisation est prévue en janvier 2022. Une campagne de communication est prévue pour sensibiliser les Français. Et pour les Français qui n’en veulent pas ? « On va utiliser le système de l’Opt-out. Pour le DMP c’était une logique d’Opt-in, c’est-à-dire qu’il fallait se manifester pour en bénéficier.  Là, c’est différent car un espace santé sera créé d’office pour l’ensemble des Français, avec la possibilité de s’y opposer », précise-t-elle.

Comment capitaliser sur l’enthousiasme des Français pour développer le numérique en santé en France ? 

Seuls 25% des Français déclarent attendre du numérique une amélioration de leur propre santé. De fait, le numérique ne va pas améliorer leur santé de façon directe, mais plutôt indirecte, en fluidifiant les partages et les échanges des données de santé afin de faciliter rapidement une prise en charge adéquate. Comment faire pour que les Français perçoivent pleinement le potentiel des outils numériques en santé ? Quels types d’actions sont à actionner de manière prioritaire? Pour répondre à ces questions, l’Institut Montaigne a récemment publié deux rapports. Angèle Malatre Lansac, Directrice du programme santé de cet institut souligne la qualité des chiffres révélés par l’enquête Harris Interactive. Elle y voit une source de très fort optimisme. Pour transformer l’essai et capitaliser sur la digitalisation du système de santé, elle propose quelques grands axes :

–   « Il faut tout d’abord porter une vision très claire sur le numérique en santé : qu’est-ce qu’on veut faire avec ? Quelle vision on en a ? L’Etat doit passer d’un rôle de gérant à un rôle de garant des règles du jeu et de la vision en laissant davantage de marge de manœuvre aux acteurs de la filière et notamment aux acteurs privés pour déployer les solutions innovantes ».

–   Le second axe concerne le capital humain : « l’enjeu de la formation des acteurs du système de soin aux technologies numériques est de favoriser l’acculturation des décideurs publics et des professionnels à ces outils. Les professionnels de santé sont finalement peu formés à l’E-santé. Ils sont peu acculturés à l’usage des datas en santé et aux enjeux qui vont avec, comme la cybersécurité par exemple. Toutes ces connaissances sont pourtant essentielles pour apporter de la confiance. On sait que les professionnels de santé sont très prescripteurs ».

–   Le troisième axe consiste à encourager l’innovation digitale en construisant une filière santé puissante : « Il est essentiel de favoriser les approches partenariales et les alliances entre secteurs privé et public grâce à de grands projets d’innovation en santé. De plus, les entreprises de la Tech doivent se voir proposer un accompagnement précoce pour les aider à se conformer aux standards d’interopérabilité dans le développement de leurs solutions numériques et les accompagner dans leur accès au marché »

–   « Il y a une méfiance autour des données de santé. On préconise de beaucoup travailler avec nos partenaires européens pour développer une troisième voie qui ne soit ni le modèle américain ou chinois mais un modèle souverain européen ». Le dernier axe est donc celui de la confiance : « il y a beaucoup à faire pour éviter les peurs autour de la E-santé. Il faut capitaliser sur la satisfaction. L’usage s’est beaucoup développé du côté des professionnels de santé comme des patients. Ils ont vu l’intérêt des datas, notamment la façon d’ajuster les politiques publiques en fonction des chiffres sur la pandémie ».

La confiance : un thème majeur quand on parle de numérique en santé

L’enquête révèle que 9 Français sur 10 déclarent faire confiance à leur médecin pour garantir la sécurité de leurs données personnelles de santé. En revanche, 25% ne font pas confiance aux services publics pour la sécurité de leurs données numériques. Et ils sont 50% à penser qu’il y a davantage de bénéfices que de risques associés au développement des outils numériques dans le domaine de la santé.

La collaboration avec les professionnels de santé est pertinente pour consolider cette confiance. En effet, 4 français sur 10 déclarent avoir choisi un service numérique suite à une recommandation d’un professionnel de santé.  Et 1 sur 2 accepterait de partager ses données (état civil, historique médical…) avec son médecin traitant (30% seulement avec l’Etat, 24% avec leurs mutuelles et assurances)

Les aidants jouent eux aussi un rôle clé pour accompagner les Français dans la prise en main des usages numériques en santé.

–   1 Français sur 2 déclare aider régulièrement une personne de son entourage pour l’accès aux technologies numériques et la réalisation de démarches en ligne

–   45% déclarent aider régulièrement au moins une personne de leur entourage concernant l’accès à la santé

–   37% déclarent s’être déjà faits aidés pour accéder aux technologies numériques et réaliser des démarches en ligne

La sensibilisation est un autre défi de taille. Au-delà des aspects pratiques, il s’agit de démontrer les bénéfices du numérique sur la santé individuelle et collective des Français.

–   Plus d’1 Français sur 4 considère que le développement du numérique en santé ne sera pas utile pour améliorer sa propre santé dans les années à venir

–   Plus d’1 Français sur 5 considère que le développement du numérique en santé ne sera pas utile pour améliorer sa santé, prévenir les épidémies et mieux les gérer

Jean Deydier, Fondateur de la start-up sociale WeTechCare et d’Emmaüs Connect, en tire plusieurs conclusions : « Il y a un risque de défaut d’anticipation. Le déploiement du numérique a creusé les inégalités. Il faut donc à présent prendre les devants et investir sur le sujet de la médiation ». Selon lui, ce qui prime, c’est un besoin d’information pour tous « on a eu tendance par le passé à se réjouir un peu vite du fait que 30 ou 40% de la population se saisisse immédiatement de ces services avec le sentiment que c’était gagné. Si on parle d’égalité ou de solidarité c’est 100% des Français qui doivent trouver leur compte ». Ensuite il y a un enjeu de proximité et de coordination. A ce titre, il estime que les collectivités territoriales ont un grand rôle à jouer : « Notre expérience est intéressante car aujourd’hui, on est capable avec peu de moyens, d’aller chercher ces aidants numériques, de sensibiliser, de développer les contenus pédagogiques interactifs qui permettent de faire gagner en confiance les plus fragiles ». WeTechCare produit des webinars et des forums pour relier l’ensemble des parties prenantes. Et de conclure : « Il n’y a pas de fatalité. Avec peu de moyens, on peut arriver à une meilleure inclusion numérique. Il est essentiel de préserver cette société égalitaire et de faire du numérique une opportunité pour tous ». 

La collaboration est essentielle, a confirmé Giovanna Marsico : « Il est important de faire remonter les besoins du terrain au niveau des partenaires institutionnels, du médico-social… Le Conseil du Numérique en Santé est une instance ouverte, qui accueille tous ceux (public, privé, associatif, sociétés savantes, industriels…) qui le souhaitent à ses travaux».

Comme l’a rappelé Jacques Lucas, les citoyens sont très attachés à la notion de secret en ce qui concerne leur vie personnelle et leur état de santé : « il faut s’appuyer sur les professionnels de santé en qui ils ont confiance ». Il estime qu’il faut convaincre ces derniers que ce qu’ils ont appris et qui est inscrit dans leur code de déontologie au regard du secret n’est pas violé par l’utilisation du numérique si on respecte les règles. Selon lui, il y a un grand travail de pédagogie à mener.

L’Assurance Maladie qui manipule ces données de santé depuis sa création en 1945 n’a jamais trahi le secret, donc il y a une forme de complotisme ambiant. Les données sont protégées et ne sont pas partagées en dehors de l’équipe de soin. Les patients sont prêts à faire don de leurs données à condition qu’il n’y ait pas de marchandisation. Sur le plan éthique il y aurait quelque chose de paradoxal à recueillir quelque chose de gratuit de la part d’une personne qui y consent et de vendre ensuite cette donnée.

observe-t-il.

« Ce qui est en jeu, c’est souvent l’autonomisation des personnes, notamment pour celles qui sont désocialisées » ; observe Grégoire Ducret, pour lequel la solution peut passer par un accompagnement des aidants. « Il faut leur dire qu’ils ont un rôle d’aidant, le formaliser et l’acter. Mais aussi les former et les outiller, en s’appuyant sur les ressources qui existent. Il s’agit aussi de préserver la responsabilité des guichets publics pour accueillir des personnes non numérisées et de se baser sur des solidarités de proximité (enjeu de confiance, approche individualisée…) »

En résumé, si le numérique offre une opportunité unique pour les enjeux de santé publique (prévention, diagnostic, soins, recherche…), il est primordial de penser à l’accompagnement des personnes les plus éloignées. Cela suppose à la fois de prendre en considération les aspects matériels, mais aussi de rassurer et de sensibiliser les Français. Il faut continuer de travailler sur ce sujet de l’inclusion !

M-FR-00005086 – Etabli en septembre 2021

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