Les associations au cœur de l’innovation en santé

Qu’est-ce que l’Open Big Data va changer à la santé ?

L’Open Big Data a enclenché une véritable révolution digitale dans le domaine de la santé, promettant innovation, progrès et meilleure prise en charge des patients. Les perspectives en termes d’opportunités cliniques, scientifiques ou économiques sont fascinantes, même s’il est important de veiller à contrôler et cadrer l’utilisation des data, au regard de l’éthique.

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La big data en santé, c’est quoi ?

On entend partout que l’Open Big Data façonne une nouvelle médecine. Plus performante, plus personnalisée, plus prédictive. Mais qu’est ce exactement que l’« Open Big data » ? Revenons rapidement sur ses deux composantes. La Big Data est l’analyse de gros volumes de données, grâce à la mise au point d’algorithmes sophistiqués. En santé, ces données peuvent être issues du « dossier patient » que détiennent les médecins, les laboratoires, les pharmacies ou les hôpitaux, mais aussi de registres d’informations issues de la recherche et de l’administration, ou d’informations récoltées au travers de l’IOT (Internet des objets). L’Open Data représente l’ouverture et l’accès à des données publiques et privées, ainsi que leur utilisation réelle ou potentielle, dans le respect de la vie privée des individus.

Quelles opportunités ?

Ces deux laboratoires ont voulu créer un programme de recherche sur l’épidémiologie du cancer en exploitant les potentialités de la data

Mehdi Benchoufi, coordinateur du projet EPIDEMIUM

L’Open Big Data offre des opportunités extraordinaires. Medhi Benchoufi, coordinateur du projet EPIDEMIUM en témoigne : « EPIDEMIUM est le fruit de l’association de deux laboratoires, l’un institutionnel -Roche-, l’autre qui se définit comme un laboratoire communautaire -La Paillasse-. Ces deux laboratoires ont voulu créer un programme de recherche sur l’épidémiologie du cancer en exploitant les potentialités de la data: le but était de mettre toutes leurs données à disposition pour faire émerger des programmes scientifiques pertinents sur le plan médical et opérationnel. C’est ainsi que nous avons lancé en novembre 2015 le Challenge4Cancer ».

Scientifiques, médecins, étudiants, développeurs, ingénieurs… Ils ont été 331 participants à s’investir et à exploiter le plus grand ensemble de données sur le cancer en accès libre en France: 3 millions de publications scientifiques en oncologie, 50 000 données d’études cliniques sur 34 types de cancer et 4 milliards d’informations provenant de patients atteints de cancer.

Quels champs d’exploitation ?

Les champs d’applications choisis par les participants ont été très nombreux et les outputs très porteurs. Ils se sont intéressés notamment  à l’étude des facteurs de risques et des facteurs protecteurs, aux enjeux environnementaux (par exemple, la relation entre le climat et les cas de cancer), ou à l’étude de la répartition du cancer dans le temps et dans l’espace, avec la possibilité de projeter à 5, 10 ou 15 ans  la mortalité et l’incidence des cancers partout dans le monde. Les 3 équipes gagnantes ont la possibilité aujourd’hui de se lancer dans l’aventure start-up, Roche soutenant leur développement.

« Cette première édition ayant été un succès, nous réfléchissons à réitérer le défi. Le seul bémol que nous avons pu constater: une faible implication des médecins. Ils restent en effet encore éloignés par rapport à ces problématiques et ne sont pas forcément formés à la data science », regrette Mehdi Benchoufi. L’écosystème médical devrait selon lui être davantage sensibilisé à l’importance des data. « Si nous ouvrons un second challenge, nous sensibiliserons les médecins plus en amont », observe-t-il.

Des évolutions encouragées au plus haut niveau

La France est le pays qui a la plus grande base de données médico-économique au monde

Simon Chignard, chargé de mission à ETALAB

Sur le plan national, c’est la mission ETALAB qui pilote la politique d’ouverture et de partage des données publiques. Elle dépend du Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique (SGMAP). Simon Chignard, chargé de mission à ETALAB, évoque l’une des plus grandes sources de données en France: « La France est le pays qui a la plus grande base de données médico-économique au monde. À chaque fois qu’un patient va chez le médecin, qu’il est hospitalisé ou encore qu’il passe à la pharmacie avec sa carte vitale… l’information est enregistrée. Cette base, qui représente une immense richesse d’informations, est le Sniiram (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance-maladie). Bien sûr toutes ces données sont pseudonymisées».

Derrière ce néologisme un peu technique, Simon Chignard fait référence à un principe un peu différent de l’anonymisation. « Chaque numéro d’identifiant d’un patient (“numéro sécu”) est remplacé par un identifiant différent, sans qu’il soit possible de faire le lien entre les deux. En procédant ainsi on peut suivre des patients dans le temps sans être capable de les identifier individuellement. Dans l’anonymisation on retire tout identifiant, ce qui ne permet plus de les suivre”, précise-t-il.

Il explique en effet qu’il n’est pas possible de tracer le patient ou le professionnel de santé. Et si une ré-identification d’un individu est rendue possible (parce qu’il n’existe, par exemple, qu’un seul cardiologue dans telle ville de l’Allier et qu’une donnée traite de ce cas, donc de ce médecin en particulier), alors l’accès à cette donnée ne sera pas diffusée. L’exploitation de cette base de données – dans le respect de la vie privée – peut permettre de réels progrès, notamment en matière de prévention : on peut statuer sur le meilleur traitement, les meilleurs soins à apporter à un patient en fonction des l’ensemble de ses données individuelles croisées avec les données collectives

Dès 2014, la mission Etalab a contribué à organiser un débat qui a alimenté la Loi Santé, promulguée en janvier 2016. Cette loi confirme l’ouverture à tous des données agrégées qui ne représentent aucun risque pour la vie privée et prévoit en revanche des conditions d’accès limitées aux données à caractère personnel. Pour Simon Chignard, « il y a encore des débats à ouvrir et à gérer sur le niveau de protection des données attendus par les citoyens, c’est évident, mais il ne faut pas arrêter l’élan que permet l’Open Big Data, les possibilités sont immenses, cela peut générer de nouvelles sources de connaissances. L’une des clés est bien la création d’un espace de confiance numérique en France, pour dépasser une éventuelle résistance liée la peur d’une utilisation inappropriée des données. »

Jusque-là, l’accès aux données personnelles était partiellement ouvert aux organismes de recherche publique, un arrêté du ministère de la Santé en interdisant l’accès aux organismes à but lucratif (compagnies d’assurances, laboratoires pharmaceutiques par exemple). Mais le 20 mai, le Conseil d’État a demandé l’annulation sous quatre mois de cet arrêté, ce qui permettrait à toutes les structures voulant mener une étude d’intérêt général, d’accéder aux données. Le Ministère de la Santé n’a donc pas fini de débattre de cette épineuse question de l’accès aux données…

Quel est le regard des associations?

L’accès aux données, notamment à celles de l’Assurance Maladie, est essentiel

Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo

Bien entendu, chaque association porte son propre regard sur la question de l’Open Big Data Certaines ont plus de  réserves que d’autres. Nous avons interrogé Yvanie Caillé, fondatrice de Renaloo car son association s’est tout particulièrement intéressée aux données et à leur traitement. Ce qui a été déclencheur dans cet intérêt pour la data, c’est le registre national appelé “REIN”, qui effectue un suivi des 80 000 patients dialysés et greffés en France. “Renaloo a pu réaliser des travaux de recherche sur la base de ce registre. Mais nous avons aussi mené notre propre enquête, dans le cadre des Etats Généraux du Rein, avec 9 000 répondants. L’analyse croisée de ces données met en perspective de grandes inégalités géographiques et sociales dans l’accès à la dialyse et à la greffe. Elles entrainent des pertes de chances pour les patients et sont aussi très délétères pour notre système de santé : les traitements les moins efficaces et les plus coûteux sont trop souvent privilégiés”, note Yvanie Caillé.

Elle a donc souhaité aller plus loin en proposant des analyses plus fines, mais s’est heurtée au manque de transparence de ce registre. “Il s’agit d’un outil très précieux qui apporte beaucoup de connaissances, mais la publication des données relatives à chaque établissement est aujourd’hui interdite. Seules les données par région sont divulguées. Cette opacité soulève des questions d’autant plus aiguës que de très fortes hétérogénéités dans la prise en charge des patients sont démontrées. Nous militons donc pour que ce frein soit levé”, déclare-t-elle.

En tant qu’association de patients impliquée dans la démocratie sanitaire, elle a toujours tenu à avoir une approche « de santé publique » autant que militante : “en intégrant dans nos plaidoyers des arguments d’économie de la santé ou d’épidémiologie, nous renforçons la force de nos messages. L’accès aux données, notamment à celles de l’Assurance Maladie, est donc essentiel”.

La donnée, un enjeu précieux

Pour beaucoup d’associations de patients, les enjeux des données de santé sont nombreux. Elles constituent très clairement un outil pour mieux défendre les intérêts des patients, mieux identifier les problématiques, ou lancer des alertes. “Les évolutions sociétales récentes, la démocratie sanitaire, l’accès aux connaissances notamment via le web, font que les patients souhaitent désormais être des acteurs de leurs pathologies et de leurs traitements. Ils veulent participer aux choix relatifs à leur santé, dans le cadre de la décision médicale partagée. Ils veulent aussi choisir leur établissement, leur médecin, et leur prise en charge. Pour cela, ils doivent accéder à des informations sur l’offre, sur la qualité des soins et du service rendu, ainsi que sur l’efficience des dépenses”, poursuit Yvanie Caillé.

Elle est convaincue que les patients doivent avoir la possibilité de contribuer directement à l’évaluation, de partager des informations sur leur prise en charge, leur ressenti, leur expérience du soin : “cette prise en compte des données « patients centrées », avec toutes les garanties éthiques liées au consentement et à la sécurité, représente sans aucun doute la prochaine grande étape dans le domaine des données de santé, au service des personnes malades et de la qualité des soins”.

Et les patients, qu’en pensent-ils ?

Face au partage et au traitement de leurs données : sont-ils plutôt favorables, ou méfiants? “L’enquête des Etats Généraux du Rein a rencontré un très grand succès, puisque 9 000 patients y ont répondu. Ces chiffres étaient inespérés, d’autant que le questionnaire demandait pratiquement 30 minutes de remplissage”, estime Yvanie Caillé. Pour elle, on demande rarement leur avis aux patients, on s’intéresse peu à ce qu’ils vivent, à ce qu’ils ont à dire. Ils ont vu dans cette enquête une opportunité de s’exprimer et ils s’en sont saisis.

“ Une question ouverte offrait la possibilité d’exprimer en toute liberté « ce qui va et/ou ne va pas dans la prise en charge de la maladie » et les améliorations souhaitées. Une personne sur quatre a répondu à cette question, joignant souvent plusieurs pages supplémentaires. Le questionnaire était totalement anonyme, ils se sont donc sentis parfaitement libres de participer et manifestement très motivés! ”, conclut-elle.

Les résultats du traitement du registre REIN

En appariant des données de l’enquête réalisée pour les Etats Généraux du Rein et celle d’autres travaux, notamment issus du registre REIN, Renaloo a pu démontrer l’existence d’inégalités sociales majeures dans l’accès à la dialyse et à la greffe. Quels que soient la tranche d’âge et le sexe, les personnes dialysées sont moins diplômées que les personnes greffées. Cette étude a été publiée en juin 2016 dans Population, la revue de l’Institut National des Etudes Démographiques (INED).

L’article, dont l’auteur principal est Christian Baudelot, sociologue et vice-président de Renaloo, rend compte de l’accès socialement différencié à ces deux traitements et en examine les mécanismes. À chaque étape de la maladie, une dynamique cumulative conduit les patients les moins diplômés à être en situation de désavantage pour bénéficier d’une greffe de rein.

Résumé

- L’introduction de l’Open Big data dans le domaine de la santé représente une véritable révolution.

- Ses champs d’action et d’applications sont nombreux, qu’ils concernent la prise en charge des patients, l’élaboration des traitements, ou l’apport de nouvelles connaissances.

- Chaque acteur s’en empare à sa manière et ouvre de nouvelles voies. Les laboratoires Roche et La Paillasse, par exemple, ont lancé un programme de recherche sur l’épidémiologie du cancer reposant sur l’exploitation de la data.

- De son côté, la mission ETALAB pilote la politique d’ouverture et de partage des données publiques sanitaires dans une optique d’ouverture des données et de respect de leur confidentialité.

- Quant à l’association Renaloo – qui œuvre pour accompagner les patients atteints de maladies rénales, elle s’attache à faire progresser l’idée d’une démocratie sanitaire où le patient pourrait mieux défendre ses intérêts, au travers de l’utilisation des data.

- Face à la manifestation de certaines inquiétudes, l’ex ministre de la Santé, Marisol Touraine avait lancé, déjà «en 2016, un sondage en ligne invitant les internautes à commenter l'ouverture et l'exploitation de masses de données personnelles dans le secteur médical. L’occasion d’une réflexion sur les bénéfices et les conditions de ce partage.

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