Les associations au cœur de l’innovation en santé

Santé : quand la recherche mobilise (aussi) la société civile

Comment acquérir les compétences nécessaires au travail avec les chercheurs? Comment faire des citoyens des acteurs à part entière de la recherche ? S’ils ont besoin des chercheurs pour accéder à de nouveaux savoirs, la recherche a besoin de la société pour progresser. Baptisé « recherche participative », ce concept inclusif doit permettre de donner toute leur place aux citoyens dans l’enrichissement des connaissances, la production de savoirs et le développement de l’innovation. Et ce, en parfaite collaboration avec les chercheurs détenteurs d’un savoir académique. Zoom sur une science à l’écoute des acteurs de la société civile pour accélérer le progrès en santé au bénéfice de tous…

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En février 2018, nous consacrions déjà un dossier à la recherche participative. Cette tendance n’a cessé de se développer, si bien que la recherche scientifique n’est plus du tout la chasse gardée des chercheurs et autres professionnels de santé. Terminée donc l’idée selon laquelle le pilotage de la science serait uniquement du ressort des porteurs de projets académiques ou industriels. À ce duo historique est venu se greffer un troisième groupe composé des porteurs « d’expériences personnelles et de vie réelle », aussi présentés comme les porteurs de la recherche citoyenne.
C’est cette combinaison d’horizons nourrie d’espaces communs de dialogue et d’action qui a donné naissance au concept de recherche participative. Au plus près des attentes de la société, la science peut ainsi mieux répondre aux enjeux (de santé publique par exemple), tandis que la société peut, grâce à cette nouvelle proximité avec la science, mieux appréhender la démarche scientifique et ses contraintes.

« Développer les collaborations avec la société civile s’impose pour exploiter au mieux les données dites de "vraie vie" ou de vie réelle. Les chercheurs doivent pouvoir accéder à ces données pour produire des réponses toujours plus pertinentes. Accéder à ces données sous-entend un lien étroit avec ceux qui les produisent et qui sont les premiers concernés par les réponses thérapeutiques, à savoir les usagers, les patients, les citoyens. L'accès aux données donne la perspective d'analyses efficientes, notamment en ce qui concerne l'usage des médicaments. Ces analyses recouvrent des enjeux sanitaires, économiques, éthiques, mais aussi de financement du système de santé »

souligne Anne Raison, Responsable qualité au sein de la direction médicale du laboratoire Roche.

Cette logique de collaboration-coopération entre chercheurs et membres de la société civile s’observe aujourd’hui à toutes les étapes de la recherche : définition des problématiques, formalisation des objectifs à atteindre, moyens à mettre en œuvre, production, collecte et analyse de données, interprétation, diffusion et valorisation des résultats, applications et développement. « Dans certains projets, l’implication du tiers secteur ne concernera que certaines de ces étapes. Dans d’autres, la société civile sera partie prenante de la totalité du processus », explique-t-on du côté de l’Inserm.

L’émergence de la science participative : l'action pionnière de l'Inserm

La recherche participative met, plus que jamais, en lumière tout le bénéfice apporté par l’expérience patient. Elle fait le plus souvent référence à des projets de recherche au cours desquels le regard citoyen est sollicité, notamment pour relire des protocoles de recherche clinique. Une relecture pour évaluer la lisibilité et la compréhensibilité des documents relatifs aux études cliniques et qui peut provoquer la reformulation de certains passages des notices d’information et autres formulaires de consentement. C’est, par exemple le cas, avec le Collège des relecteurs de l’Inserm, lancé en 2007 et constitué de 71 membres associatifs formés par l’Institution. De quoi parfaire la prise en charge du patient dans le cadre du protocole de recherche et donc d’optimiser le process.

« La participation des associations prend la forme d’une recherche-action, puisqu’elle permet d’améliorer les dispositifs existants pour résoudre des problèmes auxquels sont confrontés les chercheurs. Ce sont parfois des choses simples mais non perçues par le clinicien. Cela montre l’importance de faire appel au savoir expérientiel des personnes malades pour alerter sur des contraintes difficilement acceptables par le participant en raison de sa pathologie et lever les freins à la participation »

rappelle Flavie Mathieu, chef de projet à l’Inserm (1).

En 2018, 522 associations et 3 127 contacts étaient référencés dans la base Inserm (selon le rapport annuel de l’Inserm, 2018). Des données qui avaient doublé par rapport aux chiffres de 2003.
Nul doute que depuis, ces chiffres continuent de croître, forts du partenariat, alors unique en France, noué entre l’Inserm et les associations de malades, à travers notamment le Groupe de réflexion avec les associations de malades (Gram) et le service Sciences et société créée en 2003. Et si à l’origine, les associations souhaitaient d’abord, par ce rapprochement, avoir accès à une information fiable et mise à jour, leurs exigences ont évolué et elles entendent désormais participer activement à la recherche. Comment ? En mettant à disposition des chercheurs leurs données de vie réelle.

« La recherche ne se fait plus exclusivement entre détenteurs du savoir académique. La recherche, c’est désormais donner la parole à des patients et les rétablir dans une identité où ils ne sont pas uniquement des personnes malades, mais des personnes qui se rendent utiles pour les suivants », expliquait dans le journal 20 mn Valérie Moulins, directrice de la communication et du service de l'expérience patient à l'hôpital Foch de Suresnes. Là-bas, depuis 2018, un living lab propose un espace de rencontres entre personnels hospitaliers, patients et aidants, pour identifier attentes, souhaits, dysfonctionnements et autres bonnes idées afin d’améliorer l'accueil et les soins à l'hôpital. Une démarche participative, centrée sur une écoute renforcée des patients dans le cadre de leur parcours de santé. Une manière pour l’établissement francilien de répondre aussi à l’un des enjeux du plan Ma santé 2022 encourageant les hôpitaux à multiplier les interactions entre patients et soignants...

La participation via les données de vie réelle

Des citoyens qui coproduisent le savoir : cette affirmation a longtemps laissé dubitatif. En particulier du côté des scientifiques. À l’exception peut-être des pensionnaires de l’Inserm où l’ambition de rapprocher chercheurs et patients fait littéralement partie de l’ADN de l’Institution. 

« Cette approche d'analyse de données de vie réelle donne accès en "temps réel" à des informations qui existent sans avoir à les reproduire comme dans les essais cliniques. Les analyses de données existantes sont donc appelées à prendre une place de plus en plus importante non seulement sur le plan de la recherche clinique mais aussi dans l'évaluation des médicaments et des politiques de santé »

prévient Anne Raison.

Des outils favorisent d’ailleurs ce partage des données de santé à l’image du support Onco Data Hub (ODH), première plateforme française de référence pour accélérer la production et l’exploitation des données de vie réelle dans le cancer. Fruit d’un partenariat entre Roche et Unicancer, cette nouvelle plateforme met à disposition de tous les acteurs de l’écosystème de la santé un ensemble de données de qualité, longitudinales, représentatives du parcours de soins des patients atteints d’un cancer. « Cette coopération centrée sur les data de santé poursuit une triple logique : comprendre le parcours de soins des patients en oncologie, identifier les besoins médicaux non-couverts et favoriser l’accès à l’innovation », précise Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer(2).

S’ils sont à l’origine des données qui nourriront et enrichiront la plateforme, force est de constater que les patients - ou du moins leurs représentants – participeront également à sa gouvernance et à son fonctionnement. En effet, tandis qu’un consortium réunissant institutions, partenaires privés et représentants de patients assurera le pilotage stratégique des développements de la plateforme, un comité d’évaluation des projets et un comité éthique et déontologique indépendant évalueront les projets de recherche non standardisés nécessitant un accès aux données.

Vers une participation institutionnalisée

Le 31 janvier dernier, le règlement européen relatif aux essais cliniques des médicaments (règlement (UE) n° 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain) est entré en vigueur  avec pour principale nouveauté : la création du portail CTIS (Clinical Trial Information System), unique point d’entrée pour les demandes et les autorisations d’essais cliniques de l’ensemble des 27 États membres de l’Union européenne (UE) auxquels s’ajoutent Islande, Liechtenstein et Norvège. Il s’agit, par cette harmonisation à l’échelle européenne, de faciliter l’accès des patients aux traitements, de renforcer l’attractivité de l’Europe en matière d’essais cliniques et d’augmenter la transparence et l’accès aux données issues de ces essais.

« Ce nouveau règlement et la mise en place d'une procédure centralisée en particulier, vont accélérer l'autorisation des essais cliniques en Europe en évitant à un promoteur de faire 27 demandes, une dans chaque pays membre. C'est une véritable source d'attractivité pour l'Europe en termes de recherche. Par ailleurs, l’avancée est considérable sur le plan de la transparence : non seulement le nouveau règlement encourage l'implication des associations de patients dès la conception des projets, mais il rend accessible au grand public le portail et la base de données européenne centralisés(3) concernant les essais cliniques. Par conséquent, tous les résumés des projets en cours mais aussi les synthèses des résultats seront consultables par tous », informe la responsable qualité au sein de la direction médicale de Roche. Un laboratoire pleinement engagé dans ce nouveau processus puisqu’il a d’ores et déjà soumis un premier essai clinique via la nouvelle plateforme européenne. 

1. https://www.inserm.fr/actualite/emergence-science-participative-rapprocher-chercheurs-et-patients/
2. https://www.mypharma-editions.com/oncodatahub-unicancer-et-roche-sassocient-pour-creer-une-plateforme-de-reference-de-donnees-de-vie-reelle-en-oncologie
3. https://euclinicaltrials.eu/about-this-website

Recherche participative en santé : verbatim d’acteurs engagés

La recherche participative repose sur un engagement pluriel, une parole collective et une ambition partagée de collaborer, de coopérer, de mutualiser des expériences, des compétences et des connaissances. Les équipes d’Innov’Asso sont parties en quête des propos de celles et ceux qui s’engagent pour mener une « recherche avec » plutôt « qu’une recherche sur... »

François Faurisson, conseiller à la recherche clinique chez EURORDIS sur le site Internet d’EURORDIS en septembre 2019.
« L’interaction entre les patients et les scientifiques n’est pas toujours facile. Cependant, nous observons que les groupes les plus anciens et les mieux établis (dont les associations de patients atteints de troubles neuromusculaires et de mucoviscidose) entretiennent des relations toujours meilleures avec les chercheurs, ce qui signifie que des groupes plus petits et plus récents peuvent espérer multiplier leurs contacts avec les personnels de recherche et susciter un changement positif dans les années à venir ».

Laetitia, 46 ans, dirigeante d’entreprise, suivie pour un cancer du sein triple négatif, membre de la Communauté de Patients pour la Recherche (ComPaRe) regroupant plus de 7 000 patients et 29 associations de patients pour faire avancer la recherche médicale et la prise en charge des maladies chroniques. Octobre 2020 – Site Internet de l’APHP.
« En fréquentant l’hôpital, j’ai compris que mon expérience pouvait être utile à d’autres. ComPaRe me permet d’aller plus loin : c’est une opportunité d’être acteur de la recherche, d’aider -modestement mais résolument– les chercheurs. Nos expériences, nos parcours de soins, les stratégies d’adaptation que nous développons pendant la maladie, peuvent faire partie de l’arsenal de solutions qui permettront à d’autres d’être soignés, d’être guéris. Pour moi, c’est éclairer pour d’autres le chemin sur lequel je trébuche. » 

Guillemette Jacob, fondatrice de l’association Seintinelles, Février 2018.
« La maladie est une affaire collective, donc la recherche aussi. Il y a encore trop de décalage entre l’intention réelle et sincère de faire du patient un acteur à part entière de la recherche médicale et la réalité. Aujourd’hui, il est davantage un acteur du soin. Tout cela prend du temps. Notre premier enjeu était de faire que les citoyens participent à la recherche, ce qui n’était pas suffisamment le cas auparavant. La recherche médicale ne devrait pas être seulement l’affaire des patients dans la mesure où la recherche a besoin de tout le monde et que la maladie est une affaire collective. Le fossé de la recherche entre les scientifiques d’un côté et les citoyens de l’autre se comble progressivement car il y a une volonté de travailler ensemble. Mais pour cela, il faut que les chercheurs aient face à eux des interlocuteurs capables d’enrichir la réflexion. Gardons en tête que la recherche est un domaine très technique qui peut faire peur à des néophytes et qui demande une certaine culture. Il faut donc que les patients réussissent à donner un point de vue qui transcende leur expérience individuelle. Ça leur demande de pouvoir prendre du recul pour analyser les choses. »

Hervé Nabarette – Directeur adjoint affaires publiques au sein de l’Association Française contre les Myopathies (AFM-Téléthon) - Avril 2021 - Printemps de la Recherche Clinique (atelier Partenariat en santé)
« Les patients jouent un rôle de plus en plus actif dans le système de santé. Le changement culturel à l'œuvre n’a toutefois pas le même impact dans le domaine de la recherche, comme si la participation active des patients y semblait moins évidente que dans les soins et l’organisation des soins. Les patients continuent d’être perçus avant tout comme la source des données et non comme des protagonistes possibles de la recherche. Les justifications à l’implication des patients dans la recherche sont pourtant diverses : la pertinence qui veut que le savoir, l’expérience et le point de vue des personnes malades sont uniques et constituent une source pour guider la recherche ; la justice qui accorde aux personnes malades le droit de participer, comme d’autres parties prenantes ; l’équité qui incite à mieux comprendre les divers besoins des patients et les confronter avec les objectifs des médecins et des industriels ; le développement de capacités qui se fera en s’attaquant aux barrières qui freinent l’implication des patients dans la recherche, en apprenant aux organisations et patients impliqués dans la recherche à se connaître et travailler ensemble. »

L’innovation sanitaire boostée par l’article 51

Déroger aux règles de financement de droit commun (tarification à l’acte, panier de soins remboursable, participation du patient...) et d’organisation (prestation d’hébergement temporaire non médicalisé…), applicables en ville comme en établissement hospitalier ou médico-social : c’est possible.

Il suffit pour cela aux porteurs de projets de se référer à l’article 51 de la Loi de financement de la sécurité sociale de 2018. Le texte autorise, en effet, le financement inédit de tout dispositif permettant d’expérimenter de nouveaux outils ou de nouvelles organisations en santé. Encore faut-il pour les porteurs de projets (associations d’usagers, établissements de santé publics ou privés, fédérations, syndicats, professionnels de santé, startups, professionnels de l’aide à domicile, organismes complémentaires, collectivités territoriales) démontrent que leurs projets améliorent le parcours de soins des patients et avec lui, l’efficience du système de santé, l’accessibilité aux soins et la coordination des acteurs de santé. L’optimisation du service rendu pour les usagers et l’efficience des dépenses de santé ne sont pas, à y regarder de plus près, les seules conditions au soutien financier. En effet, l’amélioration des organisations et des pratiques professionnelles est également une condition sine qua none. Pour preuve, les stricts critères de « recevabilité » qui rappellent le caractère innovant, la pertinence, le caractère efficient, la faisabilité, la reproductibilité et le potentiel de déclinaison à l’échelle nationale du projet-candidat.

Des réponses concrètes à la crise sanitaire

À ce jour, 103 expérimentations et/ou projets de recherche sont autorisés ou en cours d’autorisation et bénéficient à plus d’un million de patients. 2022 verra les premières généralisations d’expérimentations et leur déploiement à l’échelle nationale comme le prévoit le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Majoritairement issus des acteurs de terrain, les projets dits Article 51 répondent logiquement à un certain nombre de problématiques du système de santé exacerbées par la crise sanitaire de la Covid-19. Rien d’étonnant alors que les thématiques traitées dans les expérimentations correspondent aux problématiques révélées par la crise avec des projets centrés sur le télésoin ou l’accès aux soins psychologiques.

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