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Transversalité et coordination : le tandem gagnant face à la pénurie liée à la crise sanitaire

Le 26 novembre dernier se tenait une demie journée d’échange organisée par l’Association Bon Usage du Médicament. Si toutes les tables rondes étaient passionnantes, l’une d’elles a particulièrement retenu l’attention de l’équipe Innov ‘Asso qui assistait pour vous à ce colloque : celle sur la meilleure façon de garantir l’accès à un traitement en situation de pénurie.

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Eric Baseilhac, Directeur Accès, Économie et Export du Leem a animé cette table ronde, en insistant sur l’importance d’aborder le sujet majeur de l’accès aux traitements pour tous les patients qui peuvent en bénéficier.

C’est un défi majeur déjà en temps normal, mais surtout, et nous l’avons vécu, en cette période de pandémie qui est une période extraordinaire, car elle sollicite une demande à l’échelle mondiale des mêmes médicaments pour tout le monde au même moment.

a-t-il rappelé.

Selon lui, en dépit de tensions permanentes, il n’y a pas eu de pénurie, grâce à la mobilisation des acteurs qui ont su mettre en place des solutions préventives. En revanche, sur le champ de l’approvisionnement, on a pu constater la dépendance pharmaceutique dans laquelle se situe notre pays.

L’éclairage des services de réanimation

 Comment avez-vous vécu depuis votre position professionnelle cet enjeu de l’approvisionnement durant la crise Covid ? Et quelles leçons en avez-vous tiré ?
À ces questions, le professeur Pierre Albaladejo, professeur au CHU de Grenoble, présent en sa qualité de vice-président de la SFAR (Société Française d’Anesthésie Réanimation) a apporté son regard d’expert.

Nous nous sommes doutés qu’il fallait trouver des solutions extrêmement rapidement. La première leçon, ce sont d’abord les échanges que les professionnels de santé, au travers des sociétés savantes et d’autres organismes, ont pu construire avec les tutelles. Cette discussion était à mon avis primordiale parce que les premiers contacts que l’on a pu avoir en tout cas avec la SFAR mais probablement avec d’autres sociétés, ont montré des différences de préoccupations et d’objectifs. Nous avons souhaité des échanges avec l’ANSM en particulier pour essayer de régler ces problématiques

a-t-il précisé. 

Pierre Albaladejo a rappelé que cinq molécules principalement ont été impactées pendant la crise : 

C’était donc le travail des sociétés savantes de trouver des solutions alternatives, ce qui n’est pas facile, sachant que toutes les pathologies ont été confrontées au même problème. Il était important de s’assurer de la sécurité du médicament puisque, dans le contexte de réanimation, il y avait des risques.

Le rôle clé des pharmaciens

Autre acteur de la chaîne du soin, le pharmacien joue un rôle éminent. Pascal Paubel, pharmacien, vice-président du comité consultatif médical de l’AGEPS (Agence Générale des Équipements et Produits de Santé), la structure de la centrale d’achat des hôpitaux de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris, a lui aussi insisté sur l’importance de discussions transversales, de la coordination et de la mobilisation de l’ensemble de la chaîne.

J’ai été marqué par la capacité d’adaptation des équipes que ce soit à l’hôpital, dans les pharmacies, mais aussi au niveau des industriels et des autorités sanitaires. L’immense majorité des laboratoires pharmaceutiques s’est battue pour adapter la chaîne de production et de livraison.

a-t-il déclaré

Parfois ces produits sont arrivés avec un conditionnement primaire (“en vrac”), mais l’essentiel est qu’ils aient pu être acheminés quand même. À ses yeux, il y a un vrai enjeu de relocaliser en Europe la production de principes actifs anciens, malgré les difficultés que cela implique.

Les industriels de santé au rendez-vous

Jacques Zagury, Directeur Exécutif en charge des affaires publiques et de la communication au sein du laboratoire MSD, a confirmé que les industriels de santé sont en première ligne sur ces questions d’approvisionnement, sachant que la crise a révélé cette nouvelle question très politique de l’autonomie stratégique.

La production de médicaments est un sujet complexe, soumis à de nombreux aléas. Les pénuries de médicaments sont nombreuses surtout lors d’une situation de pandémie. Nous n’étions pas préparés, compte tenu de l’ampleur de la crise.

a-t-il précisé


Son laboratoire commercialise des curares. Au mois d’avril, la consommation de curares a été multipliée par douze.

Comment avons-nous réussi à produire plus ? Grâce à la flexibilité de notre outil de production qui nous a permis de mettre des équipes 24/24h pour faire tourner les usines. Nous avons réussi à faire venir des lots qui étaient destinés à d’autres pays.

a-t-il expliqué

C’est cette mobilisation qui a permis d’importer plus rapidement qu’en temps normal des médicaments qui n’étaient pas destinés à notre marché. Une coordination est selon lui indispensable pour arriver à une centralisation des stocks sur un certain nombre de produits.

Nous avions des demandes de nombreux hôpitaux, mais il est impossible pour nous de savoir quel est le besoin de chaque hôpital. Est-ce qu’ils ont des stocks ? Quel est leur besoin au niveau de la couverture nationale ? Quel est le stock des autres laboratoires pour ces médicaments similaires ? Et donc se pose des questions éthiques comme : à qui dois-je livrer en premier ces médicaments dans cette situation-là ?

s’interroge-t-il

À la notion de « souveraineté sanitaire », il préfère le terme « agilité sanitaire », tant la chaîne de fabrication est longue. Il estime par ailleurs qu’une indépendance à l’échelle nationale serait totalement utopique.

Agilité et coordination

En termes d’agilité, la Direction Générale de la Santé a joué un rôle central tout au long de la crise, comme en a témoigné François Bruneaux, adjoint à la sous-directrice de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins au sein de cette entité.
Il est revenu lui aussi sur cette expérience d

Nous avons  dû écrire beaucoup de textes dans des délais courts, ce qui supposait une bonne articulation avec notre direction des affaires juridiques. Nous avons eu un rythme très soutenu avec très peu d’arrêts, y compris le week-end.

détaille-t-il

e la création d’un organe de commande centralisé. La crise a changé radicalement l’organisation du Ministère.

Nous avons  dû écrire beaucoup de textes dans des délais courts, ce qui supposait une bonne articulation avec notre direction des affaires juridiques. Nous avons eu un rythme très soutenu avec très peu d’arrêts, y compris le week-end.

détaille-t-il

Une véritable zone d’échange a été créée avec les professionnels de santé et notamment les sociétés savantes, regroupant les sociétés de réanimation, les pneumologues, les infectiologues, les pharmaciens hospitaliers…

D’habitude, nous avons des relations assez institutionnelles, mais nous avons réussi à casser les codes pour avoir des échanges beaucoup plus confraternels et plus informels. C’était nécessaire dans une situation tendue afin de faire face au besoin collectif d’échanger et construire. La crise nous a fait augmenter les échanges, trouver des solutions ensemble, augmenter notre vigilance afin de prendre en charge le mieux possible les patients dans un contexte très tendu

conclut-il

L’Europe, une partie de la solution ?

Véronique Trillet Lenoir, députée européenne, par ailleurs professeur de médecine a déclaré que ce qu’il s’est passé a été particulièrement exemplaire du manque d’agilité et de coordination :  

Cette crise de la COVID 19 a exacerbé un constat que nous avions fait, sur le sujet de la pénurie de médicaments. Nous étions nombreux depuis des années à alerter sur le risque. Cette crise a été un test grandeur nature pour l’Union Européenne et a donné lieu à un cafouillage épouvantable.

Elle a pointé du doigt des « égoïsmes nationaux » qui ont émergés avec des sur-stockages dans certains pays, des interdictions d’exportations dans d’autres, sans parler des problèmes de frontières :

L’Union Européenne disposait pourtant de mécanismes de réserves stratégiques, d’approvisionnement, de transferts de médicaments. Elle les avait formatés pour intervenir dans les pays d’Afrique. Quand nous avons nous-mêmes été touchés, l’UE a su avec beaucoup d’agilité activer ces mécanismes pour permettre des procédures d’achat conjoint et pallier ainsi temporairement la pénurie.

Le modèle de l’achat conjoint de contractualisation d’une seule voix par l’Union Européenne au nom des États membres avec possibilité de faire des réserves stratégiques serait-il une voie d’avenir ?

Parallèlement, l’Union Européenne a trouvé comment faciliter la circulation des médicaments entre les États membres.

Certaines mesures ont été un peu improvisées par l’Agence européenne du médicament (EMA). La Commission va d’ailleurs suggérer un renforcement de ses missions. Mais si l’EMA va définir la liste des médicaments thérapeutiques majeurs et se doter d’une task force pour mieux orienter les essais cliniques, en revanche, sur la partie souveraineté pharmaceutique et relocalisation, on n’a pas entendu grand-chose

regrette la députée.

Selon elle, les relocalisations pourraient prendre la forme de partenariats public-privés, avec, à l’horizon d’un ou deux ans, une agence prénommée HERA (Health Emergency Response Authority, interface entre les gouvernements et l’industrie biomédicale) sur le modèle de la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) américaine.

L’autre option serait d’être assez attractif pour que les médicaments basiques soient à nouveau fabriqués sur le sol européen, sachant qu’actuellement,  80 % des substances actives et 40 % des médicaments sont fabriqués en dehors de ce territoire. L’Union Européenne pourrait enfin, collectivement et de façon communautaire, offrir aux industriels de santé qui le souhaitent un écosystème en termes d’infrastructures et d’accompagnement à la recherche et à l’innovation qui soit plus favorable afin que la concurrence avec les autres grandes puissances soit plus loyale.

Quelles solutions ?

La Direction Générale de la Santé joue un rôle majeur et plusieurs axes de travail ont d’ores et déjà été engagés avant la crise, comme l’a rappelé François Bruneaux :

Nous sommes le pays européen avec le plus de textes contraignants sur l’approvisionnement des médicaments, notamment un sur la sécurisation des stocks pour les médicaments thérapeutiques d’intérêts majeurs. La solution viendra d’une position plus européenne sur les obligations d’approvisionnement de stocks, mais aussi sur la question des prix.

Bien sûr, il n’est pas évident de s’accorder à plusieurs autour de projets, d’où l’importance de faciliter les contacts entre les différents acteurs du système.

Certaines solutions ont été très utiles au moment de la crise, mais moins par la suite. Nous analysons ce qui va perdurer et ce qu’il n’est pas nécessaire de pérenniser

souligne-t-il

Du point de vue de Pascal Paubel, il faut essayer de se mettre d’accord sur les produits qui sont vraiment des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur ou d’intérêt stratégique :

« La FDA a très récemment élaboré cette liste et l’a publiée. Ce travail de définition des besoins est déterminant pour voir la cartographie des sources d’approvisionnement et des fabricants qui peuvent les satisfaire. Ce sourcing doit être fait pour prévoir et anticiper les prochaines crises et savoir combien il y a de fabricants et quelles sont leurs capacités de fabriquer des solutions injectables ».

Il s’agit par ailleurs de retravailler sur les partenariats publics/privés. Il a rappelé que certains produits ont été arrêtés par l’industrie pharmaceutique, et que les dossiers ont été repris avec l’accord des industriels, mais ce transfert de technologies prend du temps.

Définir des médicaments d’intérêt stratégique ?

La clé serait donc d’identifier les médicaments d’intérêt sanitaire, stratégique ? Et d’être capable de cartographier les sources d’approvisionnement.
Mais où en est l’industrie pharmaceutique ? Et a-t-on une visibilité des stocks disponibles ?

À l’échelle d’un pays, un industriel a la visibilité sur son stock, mais une fois celui-ci distribué, difficile de savoir ce qu’il devient. C’est pour cette raison qu’il convient, avec l’ANSM, de consolider chaque semaine la vision des stocks des industriels pour les confronter aux besoins qui sont signalés par les établissements et par les ARS

souligne Jacques Zagury.

Il a également insisté sur le fait de connaître les stocks des établissements de santé en temps réel pour savoir qui servir en premier. Et a ajouté que plusieurs mesures peuvent être mises en place de façon très concrète, avec par exemple un conditionnement unique qui nous permettrait de ne pas avoir d’étiquetages différents.

Ce sont des contraintes industrielles puisqu’on est obligé de changer à chaque fois la ligne de production pour produire pour un pays donné ou un groupe de pays donné. Notamment pour le secteur hospitalier ou de toute façon il y a des bases de données très bien documentées sur chaque médicament. On pourrait avoir un conditionnement unique qui permet d’avoir une rotation entre les pays beaucoup plus rapide des stocks et d’avoir une gestion des pénuries d’un pays à un autre.

Par ailleurs, pourquoi continuer à mettre des notices dans chaque langue, dans chaque pays, quand on parle de médicaments hospitaliers ? En effet, peu de professionnels de santé utilisent les notices dans les boîtes puisqu’ils ont une base de données validées qu’ils utilisent au quotidien. En termes de production, c’est aussi une contrainte énorme qui fait perdre énormément de temps.

Et demain ?

Le dialogue qui a été instauré a permis de voir que lorsque l’on se met tous autour de la table on arrive à trouver des solutions et à aller vite. Toutes les parties prenantes pourraient être associées, tant les associations de patients que les sociétés savantes, les autorités de santé et les industriels.

Ce n’est qu’ensemble qu’on pourra avoir un message commun et c’est un enjeu de transparence pour que tout le monde comprenne la situation et qu’il n’y ait pas de suspicion par rapport aux informations délivrées.

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