Les associations au cœur de l’innovation en santé

Bilan de santé pour la health tech

D’un côté : une population vieillissante, une chronicisation des maladies et des territoires où l’offre de soins se raréfie… De l’autre : une exigence grandissante des patients et des innovations technologiques porteuses d’espoirs. C’est l’équation que doit résoudre le système de santé français. Comment et pourquoi les nouvelles technologies en santé peuvent faire partie de la solution ?

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Bilan de santé pour la health tech

Une fois par an, c’est à Las Vegas que la « grande messe de la health tech » est dite, Consumer Electronics Show (CES) oblige. En 2018, 120 entreprises françaises étaient présentes sur ce salon international incontournable. Il faut dire que la France occupe le 3ème rang mondial sur le marché du numérique en santé, derrière les Etats-Unis et la Chine. Aujourd’hui, plus de 600 entreprises françaises évoluent dans le secteur des technologies dédiées à la santé, offrant une perspective de quelque 130 000 emplois en 2030 pour un chiffre d’affaires avoisinant les 40 milliards d’euros. La France est une véritable locomotive et le pays dispose de nombreux atouts pour s’imposer comme un épicentre européen et mondial de la health tech : une recherche scientifique d’excellence, des instituts de recherche réputés; un système sanitaire parmi les meilleurs au Monde et des hôpitaux publics ouverts à l’innovation.

Digitalisation du secteur sanitaire

Premiers concernés par les innovations technologiques en santé, les patients ont pris pleinement conscience de leur rôle dans le développement du numérique en santé. Ils affichent ainsi leur volonté de s’organiser – notamment en associations – pour peser sur les décisions, faire avancer la connaissance des usages, des pratiques et des freins propres aux outils numériques.

Avant d’en arriver à la notion de patient expert capable de faire avancer les pratiques, il faut obtenir toutes les conditions du patient avisé. Les outils digitaux et les applications thématiques participent à informer le patient, à le former. C’est pourquoi les patients sont au cœur du développement des outils numériques.

Joël Jaouen, président de l’association France Alzheimer

Aussi les concepteurs travaillent-ils quotidiennement sur des concepts tels que le E-learning, la télémédecine, la robotique médicale… Autant de dispositifs qui témoignent d’un système de soin en pleine mutation technologique.

Une dynamique publique

L’émergence du numérique, considérée comme une opportunité stratégique sur le plan économique national bénéficie d’un soutien gouvernemental. Le programme Territoire de soins numérique qui entend favoriser le développement d’une offre de systèmes d’information et de services innovants au service de la coordination des soins (ex. gestion en ligne des rendez-vous) est doté de 80 millions d’euros. La création de l’ASIP Santé (Agence française de santé numérique) en 2009 et de la délégation à la Stratégie des Systèmes d’information de Santé (DSSIS) en 2011, témoignent également de la volonté des pouvoirs publics de favoriser l’e-santé en France et d’optimiser les organisations.

Cinq domaines d’impact

Mais concrètement que doit attendre la société de cette révolution numérique ? « Les nouvelles technologies apportent indéniablement des bénéfices dans la vie de tous les jours. Il y a plein d’outils qui permettent de moderniser les établissements de soins, d’optimiser la prise en charge, de rendre le patient acteur de sa santé, d’échanger avec les professionnels, d’équiper et de sécuriser le domicile. Mais, il y a aussi des solutions de co-organisation très intéressantes qui arrivent sur le marché. Elles visent à mieux connecter les personnes. Il y a nous par exemple, mais aussi les réseaux d’entraide et les objets connectés. Autant de systèmes qui permettent aux patients d’être mieux accompagnés », souligne Claudie Kulak, présidente de l’association JE T’AIDE et de l’association La Compagnie des Aidants.

En pratique, les innovations technologiques en santé recouvrent cinq domaines, à savoir :

  • Renforcer la prévention et favoriser la médecine prédictive
  • Améliorer et maintenir une qualité de vie optimale
  • Soigner et garantir un accès aux soins de qualité
  • Accompagner et favoriser le partage d’informations aussi bien entre les professionnels de santé qu’entre les citoyens/patients
  • Informer le citoyen/patient à chaque étape de son parcours de santé.

L’argent, nerf de la révolution numérique

Bien qu’effervescent et porteur, le secteur de la health tech doit faire face à plusieurs faiblesses. D’abord, des projets encore trop cloisonnés et souvent très localisés. Ensuite, la faiblesse des investissements.

Nous sentons qu’il y a une volonté de faire bouger les choses par la société civile, par les politiques, par les professionnels de santé mais il y a des freins terribles et en fait, beaucoup de freins sont liés à des questions d’argent.

confirme Claudie Kulak.

Un sentiment partagé par Joël Jaouen :

La question du modèle de financement et des tarifs associés est centrale pour le développement de la santé numérique. Aujourd’hui, nombre de projets sont financés de façon artisanale sur des fonds non sanctuarisés basés sur des appels à projets.

Joël Jaouen

L’incertitude quant à l’accès au marché pour le grand public est aussi un obstacle au développement des solutions d’e-santé. D’autant plus que les bénéfices ne sont pas toujours immédiats. Sur le premier point :

Les living labs peuvent constituer un atout en associant le patient à la conception et à la mise en œuvre de la solution.

Joël Jaouen

Selon Olivier Morice, délégué général de JE T’AIDE, le jeu en vaut la chandelle :

Il y a de la richesse à créer autour de ce secteur à commencer par des emplois directs et indirects. Il y a peut-être des coûts mais il y a aussi des recettes. Nous n’avons pas pris le temps d’évaluer précisément la balance.

Olivier Morice

L’éternelle question de la sécurité des données

Demeure également l’éternelle question de la maîtrise des données. Plus que jamais, ces dernières sont le moteur de l’économie numérique. Or le niveau de confiance quant à la sécurité et la confidentialité des données est loin d’être toujours au rendez-vous pour chaque innovation. Le débat reste en suspens. Mais pas de quoi freiner, pour autant, l’essor de l’e-santé, potentielle pourvoyeuse des innovations qui aideront enfin à résoudre l’équation « casse-tête » de l’efficience du système de soins.

« La santé numérique, c’est du cost killing ! »

Présenté comme le chef d’orchestre de l’e-santé en Nouvelle Aquitaine, Christian Fillatreau voit le numérique comme un pilier du système de santé de demain avec pour ambition d’améliorer la qualité de vie des personnes malades et d’optimiser le parcours de soin des patients. Rencontre avec le dynamique président du Cluster TIC santé de la région Aquitaine.

Le marché français des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), appliquées à la santé, semble promis à un grand avenir, avec un montant estimé à 4 milliards d’euros en 2020. Quel regard portez-vous sur cette révolution numérique en santé ?

Christian Fillatreau : Un événement majeur nous permet de situer la position internationale de la France dans le domaine des innovations propres aux technologies numériques : le Consumer Electronics Show (CES) qui se tient, tous les ans au mois de janvier, à Las Vegas. Il s’agit tout simplement du plus important salon technologique au Monde. La dernière édition a démontré que la France était en 3ème position en ce qui concerne le développement de start-up dans le domaine du numérique, derrière les Etats-Unis et la Chine. Et si on affine l’analyse, on observe que la filière du numérique en santé, plus communément appelée health tech, contribue largement à ce bon classement. Je me félicite que nous soyons un acteur majeur de la révolution numérique actuelle.

Le champ du numérique en santé est très large. Comment le définir simplement pour mieux en mesurer les enjeux ?

C.F : La Health tech peut schématiquement être divisée en trois branches : la prévention-formation ; la télémédecine ; l’intelligence artificielle et le big data. Quand on parle du numérique en santé, il faut d’abord penser formation des futurs professionnels, et dans ce domaine, le e-learning comme plusieurs autres outils numériques sont incontournables. Ils vont permettre à terme, d’optimiser la gestion des risques, de développer les compétences et d’améliorer sensiblement les pratiques professionnelles du soin. Cette ambition doit, bien entendu, être intégrée par les professionnels de santé eux-mêmes mais elle doit surtout être partagée avec les industriels. Définir le numérique en santé, c’est mettre en valeur cette nécessaire collaboration entre industriels, professions médicales, utilisateurs, unités de recherche pour voir émerger des outils pertinents, efficaces, et adaptés. Des outils qui vont nous permettre de faire mieux, pour tout le monde, et en dépensant moins.

Dans cette démarche, les acteurs du numérique en santé de la Nouvelle Aquitaine apparaissent comme de véritables locomotives. Comment expliquez-vous que votre région ait endossé le costume de chef de file ?

C.F : La situation nationale de l’écosystème du numérique en santé est hétérogène. Avec l’Ile-de-France, la Nouvelle Aquitaine fait preuve d’un dynamisme remarquable. La région Nouvelle Aquitaine concentrait, déjà, il y a 10 ans, 50% du Produit Intérieur Brut dans le seul segment des Systèmes d’Information Hospitalier. Au sein de cette région, Bordeaux et sa métropole constituent un pôle de majeur de l’écosystème national du numérique en santé avec des entreprises telles qu’Agfa Healthcare, Maincare Solutions ou Web 100T. Le choix d’une implantation sur le territoire néo-aquitain s’affirme au fil des mois sur le champ du numérique dans toutes ses composantes, l’installation récente d’Ubisoft (jeux vidéo et, potentiellement, serious games) en est une illustration médiatique. Cela participe au développement du numérique. Au final, nous disposons d’une trame industrielle en numérique de densité supérieure à la moyenne nationale, en particulier en numérique de santé. A noter, que l’implantation régionale d’entreprises du numérique en santé s’effectue dans un volant d’inertie positif auquel concourent, de manière coordonnée, le Conseil Régional, l’Agence de Développement de l’Innovation et le Cluster TIC Santé Nouvelle Aquitaine.

Comment les acteurs locaux accompagnent-ils ce développement numérique ?

C.F : En premier lieu, la Région a fait de la santé un axe fort de sa feuille de route numérique. Elle favorise les partenariats et finance des projets collaboratifs entre les industriels, les structures de soins et les unités de recherche. L’autre acteur incontournable est, me semble-t-il, le Cluster TIC Santé que j’ai l’honneur de présider. Créé en 2011, il rassemble plus de 80 adhérents, industriels, utilisateurs (établissements de santé, professionnels de santé), unités de recherche. Ce cluster favorise le développement économique et industriel du numérique en santé en accompagnant justement le développement et la mise en oeuvre de projets collaboratifs. Il permet de regrouper toutes les forces vives volontaires de l’écosystème et de s’appuyer sur l’interdisciplinarité avec notamment des acteurs académiques comme l’Institut Supérieur de la Cognitique (ENSC), l’ISPED et sa « Graduate school of digital public Health », première école de santé publique digitale européenne, l’INRIA, Sciences Po Bordeaux, l’ENSEIRB-MATMECA. Ce modèle néo-aquitain, qui pourrait être reproduit dans d’autres régions pour créer un véritable maillage, a le souci d’offrir une cohérence globale à un écosystème qui est un vecteur de développement économique. Historiquement à vocation agro-alimentaire, la Nouvelle Aquitaine est passée à côté de la première révolution industrielle. Elle a aujourd’hui une position favorable dans ce « virage numérique » constituant une nouvelle révolution industrielle.

Et le patient, que peut-il espérer de cette émulation numérique ?

C.F : D’abord la fin de l’inégalité d’accès aux soins. Aujourd’hui, la Nouvelle Aquitaine comporte sur son territoire des zones dite « sous dense » sur le plan de la présence médicale (désert médical). L’inégalité territoriale d’accès aux soins est, sur le plan strictement démocratique, insupportable. L’assuré social creusois, puisqu’il paye la même chose que l’assuré social bordelais, doit pouvoir bénéficier de la même offre sanitaire. Le numérique doit également aider au « mieux vieillir ». Le vieillissement de la population, la question de la dépendance et la montée en puissance des pathologies chroniques sont des défis qu’il nous faut relever. Surtout quand on sait que la Nouvelle Aquitaine est la région la plus vieille de France de par sa démographie.

La télémédecine serait-elle LA solution miracle ?

C.F : Il a effectivement été démontré que la télémédecine permettait une meilleure qualité de vie et sécurisait le parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques, notamment lorsque ces derniers résidaient dans des zones de santé dites sous denses. Un exemple concret : au sein de l’Institut Bergonié, centre de lutte contre le cancer de Bordeaux et de la Nouvelle Aquitaine, dont j’étais directeur général adjoint jusqu’en 2017, un médecin oncologue porte un projet de télémédecine (téléconsultations, téléexpertise et télésurveillance de patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique. En phase d’évaluation à échéance de 2 ans de pratiques, il est possible d’estimer que sur 6 consultations à programmer, 2 seulement exigeraient un présentiel, les 4 autres pouvant être organisées à distance avec la télémédecine. Imaginez qu’en 2016, l’Institut Bergonié a dû prescrire à peu près 10 millions d’euros de transports sanitaires. A titre de comparaison, les médicaments anti-cancéreux ont coûté 20 millions d’euros. Si bien que si on réduisait de moitié le coût des transports sanitaires, nous n’aurions aucun problème pour « métaboliser » le surcoût des médicaments anticancéreux. Le numérique, c’est du cost killing en santé ! C’est faire mieux avec moins. Au-delà de la télémédecine, c’est donc le numérique en général qui apparaît comme une solution pertinente qui permet, aussi, l’application du principe du circuit court pour le suivi des pathologies chroniques complexes (comme les maladies inflammatoires évolutives) exigeant des ajustements rapides de prescriptions, au risque de séquelles irréversibles.

Du concept au produit sur l’étagère…

Depuis plus de 10 ans, le groupe Médialis guide les acteurs des nouvelles technologies en matière de santé pour mener à bien leurs projets. Un accompagnement multidimensionnel qui participe à l’amélioration de la prise en soin et au développement des compétences des professionnels de santé.

C’était le 24 mai 2016 à Paris. Industriels, distributeurs, prescripteurs, acheteurs de produits et services de la e-santé… Tous avaient répondu à l’invitation de Médialis, organisateur du 1er rendez-vous national dédié à la normalisation, la certification et à la labellisation des technologies et services de la e-santé. A lui seul, l’événement témoigne de l’ambition de l’entreprise qui entend devenir l’expert français des gérontechnologies et un acteur de référence en matière de dossiers médico-sociaux partagés et sites Internet dédiés au médico-social. Normalisation, certification et labellisation… Un 4ème terme aurait pu être ajouté : évaluation. C’est justement l’une des missions du groupe Médialis.

Cette évaluation porte sur l’ensemble du continuum de la création d'un produit ou service : du concept au produit sur étagère. Depuis 13 ans, fort de notre connaissance fine de l'écosystème médico-social et des modèles économiques associés, notre groupe accompagne les porteurs de projets de toutes tailles via des méthodes de conception participative et itérative. Notre équipe d'experts pluridisciplinaires est convaincue que pour qu'une innovation soit un succès, il faut très tôt l'inscrire dans l'écosystème dans lequel elle va être utilisée, et ce tout particulièrement dans les champs de la e-santé et du médico-social.

Olivier Lowczyk, directeur des études et de l’innovation chez Médialis

L’accompagnement se veut pluriel et concerne tant l’aspect technique que les paramètres sociaux, médicaux économiques et éthiques du produit.

Entre forces et faiblesses

Parmi les porteurs de projets accompagnés par Médialis : des grands groupes industriels, des collectivités territoriales, des bailleurs, des mutuelles et caisses de retraite, des start-ups mais aussi des associations. Les patients ne sont pas en reste, bien au contraire. Médialis veille à placer les utilisateurs finaux au cœur de la procédure d’évaluation, renforçant le rôle des usagers en tant qu’acteurs à part entière du bien-vivre. C’est une analyse éclairée qui est ainsi menée. Avec la volonté d’apporter une réponse pertinente aux besoins des patients et des professionnels de santé.

Si je devais placer d’un côté les forces et de l’autre les faiblesses de la health tech en France, je dirais que nous pouvons aujourd’hui nous appuyer sur un solide maillage de santé, des compétences médicales reconnues mondialement, une infrastructure technique et une ingénierie de haut-niveau, avec – et ce n’est pas négligeable - le souci de la sécurisation des données de santé. Quant aux faiblesses, elles sont évidentes : un fonctionnement en silo aussi bien pour les financements que les formations, une tendance aux approches centralisées là où il faudrait des démarches plus territorialisées, et certainement un manque de valorisation de l'éducation thérapeutique.

Olivier Lowczyk

Autre contrainte repérée par Médialis : le coût du ticket d’entrée sur le marché pour un nouveau dispositif technologique et la nécessité de respecter des normes de haut niveau, dont le marquage CE (pour les dispositifs médicaux notamment). A Médialis, on craint aussi l’application de la loi Jardé de 2018 avec l’accentuation des freins et des procédures d’évaluation des solutions encore plus contraignantes pour des structures émergentes telles que les start-up. Ces faiblesses expliquent pourquoi la France est en retard par rapport à d’autres pays comme les Etats-Unis, Israël, voire certains pays d’Asie. Cependant dans certains domaines, l’Hexagone est montré en exemple. C’est le cas pour les systèmes d’informations de nouvelle génération et la téléassistance avancée par exemple… Que chacun se rassure : il n’y a jamais eu autant d’innovations sur le marché, au point qu’il est parfois difficile de s’y retrouver et que le repérage et le référencement des technologies constituent un véritable enjeu.

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