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Le machine learning au service d’une médecine personnalisée

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Le machine learning a-t-il tout à nous apprendre ?

Innovations moléculaires, essais cliniques, distribution de médicaments, prescription médicale ou encore chirurgie sont autant de domaines du soin transformés par le machine learning… Grâce à la puissance des algorithmes, le machine learning révolutionne en effet la prise en soin et laisse entrevoir le développement d’une santé toujours plus personnalisée.

Les chercheurs, eux-mêmes, l’assurent : sans le big data et l’intelligence artificielle – IA – , jamais ils n’auraient associé certaines molécules entre elles, et donc jamais ils n’auraient trouvé des médicaments aujourd’hui sur le marché. Preuve que le machine learning a littéralement investi le terrain des découvertes moléculaires. Celui des essais cliniques aussi où le machine learning et le traitement automatisé des informations issues de rapports médicaux, d’articles, de brevets, d’études, constituent un outil efficace pour identifier des profils sous-représentés. Le domaine de la prescription médicale n’est pas en reste avec le recours aux algorithmes pour révéler l’incompatibilité de deux médicaments prescrits par un médecin, la dangerosité d’une molécule en cas de pathologie chez un patient, ou le dépassement d’une posologie. A y regarder donc de plus près, l’intelligence artificielle en général et le machine learning en particulier constituent désormais un précieux atout dans le développement de la médecine, non plus de demain, mais bel et bien d’aujourd’hui.

Recentrer la médecine sur le diagnostic…

A en croire les informaticiens et autres ingénieurs, la technologie « Machine learning » n’est pas nouvelle. Elle a pourtant pris ces dernières années une toute autre ampleur avec l’émergence de l’intelligence artificielle et l’explosion des données. Derrière l’expression « machine learning », il faut comprendre une méthode d’analyse des données qui automatise la création de modèles analytiques et favorise les données prédictives. Une méthode d’exploitation des données effective dès la phase de diagnostic. Phase assurément essentielle pour l’orientation du patient et son suivi. De quoi permettre aux professionnels de santé de gagner du temps et d’optimiser le bon diagnostic, en générant le cas échéant des diagnostics différentiels et en suggérant des examens complémentaires. « Avec le machine learning, nous allons essayer de développer des outils pour connecter les données et ainsi mieux accompagner les soignants et les services de soins. Il s’agit de transformer les informations en connaissances pour influencer les méthodologies des médecins. Il ne faut pas voir le machine learning comme une machine en tant que telle mais plutôt comme un procédé conduit par l’homme grâce à l’intelligence artificielle », explique Xosé Fernández, directeur des datas au sein de l’Institut Curie, pionnier dans l’informatisation des données cliniques. Il n’est donc pas exagéré d’affirmer que le machine learning est en train de profondément modifier la médecine, de la radiologie diagnostique à l’ophtalmologie en passant par l’anatomopathologie. Preuve en est avec désormais le diagnostic automatisé de tumeurs cérébrales ou cutanées et la détection de la rétinopathie diabétique. Et pour ceux qui douteraient encore de la performance de la technologie machine learning, il a été démontré dans certains cas qu’elle était plus rapide, plus précise et plus fiable que l’humain. « On parle de médecin augmenté. L’humain reste au cœur du processus et surtout il en garde le contrôle », rassure Xosé Fernández. D’ailleurs, les promoteurs du machine learning affichent tous la même et unique ambition, à savoir recentrer la médecine sur le diagnostic, le traitement et le pronostic sur l’individu, en tant que personne. En d’autres termes : apporter une médecine personnalisée et efficace, non pas pour l’ensemble d’une population, mais pour chaque individu qui la compose ! Paradoxe ultime, il semblerait ainsi que le recours au machine learning (à l’innovation) aide l’homme à s’intéresser davantage…à l’homme.

Vers la démocratisation de la prise en charge personnalisée

En même temps que la personnalisation du soin grâce à l’étude des données cliniques personnelles, c’est aussi la réactivité dans la réponse apportée qui fait toute la singularité du machine learning. Exemple avec la mise en place d’assistants virtuels pour accompagner les patients tout au long de leurs parcours de soins. Disponibles en permanence, ils sont capables de répondre instantanément aux questions des patients et d’apporter des conseils personnalisés. Ces assistants peuvent notamment enregistrer les interactions pour les conserver afin de permettre au patient de les transmettre à son médecin. Un médecin qui devrait voir ses missions se recentrer sur l’exercice médical et donc le temps consacré à chaque personne augmenter. C’est aussi cela la personnalisation de la médecine grâce au machine learning. En effet, la technologie est de plus en plus utilisée pour automatiser via l’intelligence artificielle les tâches administratives afin de simplifier le parcours du patient à l’hôpital, d’optimiser les coûts, d’améliorer sa prise en charge, et de recentrer les professionnels de santé sur leurs tâches médicales. De là à déclarer l’outil comme un élément de la démocratisation de la prise en charge personnalisée, il n’y a assurément qu’un pas… Ajoutons que le machine learning (apprentissage supervisé) favorise le choix du bon diagnostic par le médecin à partir d’un ensemble limité de possibilités, et en fonction des informations génétiques disponibles sur le patient.

Ne pas brûler les étapes

Quoi qu’il en soit, cette personnalisation de la médecine grâce au machine learning repose d’abord et avant tout sur l’existence de données personnelles, issues notamment des objets de santé connectés… « L’objectif est d’obtenir une classification poussée des données pour définir les traitements les plus efficaces selon chaque particularité, afin d’adapter et de personnaliser au maximum le choix des traitements prescrits aux malades », insiste Xosé Fernandez. Et Jean-Emmanuel Bibault – oncologue à l’Hôpital Européen Georges Pompidou et chercheur en intelligence artificielle appliquée à la médecine – de préciser : « La médecine personnalisée est en plein développement, et ne va cesser de progresser, notamment à travers le séquençage à haut débit. A l’heure actuelle, la morphologie des tumeurs est observée sous le microscope par les spécialistes de la pathologie. Cela permet de guider le choix thérapeutique. Si ce processus permet déjà une classification des tumeurs en plusieurs sous-types, l’utilisation d’algorithmes complexes et interprétables en complément de l’analyse humaine pourrait marquer un passage à la vitesse supérieure ».

Mais aussi spectaculaire et efficace que soit cette numérisation de la médecine, il convient, selon le Dr Jean-Emmanuel Bibault « de prendre du recul sur son utilisation et de ne pas brûler les étapes afin de ne pas exposer la population à d’éventuelles erreurs, qui seraient impossibles à détecter ». Le professionnel de santé invite à « résoudre les problématiques inhérentes d’ordre juridique comme l’accès aux données, la confidentialité et le consentement du patient ; d’ordre technique comme la qualité des données sources, leur interopérabilité pour permettre les croisements de données de santé et de recherche, des textes, des images ; sans oublier les questions de l’évaluation de ces aides à la décision et de leur appropriation par le monde médical. »

« Nous n'en sommes qu'aux prémices de cette révolution »

C’est une prédiction admise de tous : l’intelligence artificielle transforme le secteur de la santé, si ce n’est déjà fait. Au fur et à mesure que le machine learning se déploie, la recherche s’accélère et les traitements et les diagnostics s’optimisent. Un constat partagé par Thomas Czernichow, directeur du département Logiciels et Services chez Epiconcept. Rencontre.

Pouvez-vous revenir brièvement sur la création d’Epiconcept, société spécialisée en épidémiologie et dans le développement de systèmes d’information en santé publique ?

L’histoire d’Epiconcept démarre chez Médecins sans Frontières, où le médecin Gilles Desvé et le pharmacien Daniel Cauët analysent des données au sein du département scientifique. Ils y ont développé des logiciels qui se sont révélés applicables à des terrains de recherche, à la prévention et au dépistage. Ils ont suscité un intérêt grandissant des autorités de santé. L’activité s’est émancipée en 1996 : Epiconcept est née de l’association de ces deux personnes avec Valérie Nancey (directrice administrative et financière de l’équipe épidémiologie) et Guillaume Jeannerod (PDG d’Epiconcept). L’objectif de l’entreprise est resté le même : contribuer à l’amélioration des programmes de santé publique en renforçant la connaissance des maladies et en mettant à la disposition des différents acteurs des outils technologiques et du conseil.

Associer professionnels de santé et experts du développement informatique constitue votre singularité…
Nous sommes des spécialistes de la donnée. Notre objectif, depuis le départ, est de contribuer à l’amélioration des programmes de santé publique en mettant de la technologie et un conseil expert à la disposition des parties prenantes. En effet, nous associons des professionnels de santé (épidémiologistes, biostatisticiens, médecins, pharmaciens) et des experts du développement informatique (ingénieurs informaticiens, chefs de projet techniques, développeurs, data scientists) pour proposer une triple expertise : développement de systèmes d’information e-santé, épidémiologie et data sciences. Selon les projets, ces expertises sont déployées de façon unitaire ou en synergie. Pour vous donner un exemple, dans le cadre de la crise sanitaire actuelle associée à l’épidémie de COVID-19, nous allons être en mesure de proposer la constitution de réseaux d’experts afin d’obtenir des informations épidémiologiques, cliniques et virologiques sur le COVID-19 et les patients infectés.

Quelle était votre ambition au moment de lancer, il y a 3 ans, votre stratégie Smart Health ?
Montrer comment notre triple compétence répond aux enjeux de santé publique d’aujourd’hui et de demain. Techniquement tout d’abord : les enjeux actuels sont majeurs pour l’écosystème (généralisation de l’emploi des technologies numériques et objets connectés, interopérabilité, sécurité dans l’utilisation des données de santé à caractère personnel, émergence de l’intelligence artificielle…). La stratégie Ma Santé 2022 portée par le ministère de la Santé encourage cette évolution car l’utilisation de ces technologies promet plus d’efficience et une meilleure qualité des soins. Les professionnels de santé s’accordent à dire qu’ils manquent encore de formation pour bien utiliser ces outils. Notre conviction, c’est qu’ils peuvent devenir acteurs de leur transformation numérique s’ils disposent d’un environnement de développement, accessible sans compétences techniques avancées. Nous leur proposons des systèmes d’information pensés pour faciliter la prise en main et permettre, même aux non professionnels, de développer rapidement des systèmes d’information personnalisés, avec de multiples options activables, notamment dans l’exploitation et l’analyse de données en masse.

L’intelligence artificielle en matière de santé est, selon vous, une réalité qui a fait ses preuves ou une terre encore à explorer qui nourrit tous les espoirs ?
Intelligence artificielle (IA) ou machine learning, ces techniques vont contribuer au développement d’une médecine de précision et fournir une importante aide à la décision. Pour nous, c’est un terrain d’exploration formidable, d’autant plus avec le Health Data Hub – avec lequel nous portons le projet Deep.piste qui vise à évaluer l’apport de l’IA dans le dépistage national du cancer du sein. Nous allons croiser des images et des données de santé du Système national de Données de santé (SNDS), qui constituent un patrimoine unique au monde.
Nous n’en sommes qu’aux prémices de cette révolution et les défis sont multiples : précision des modèles, modalités d’interaction avec les professionnels, impacts sur la formation médicale ou encore explications fournies par les IA sur les choix réalisés.

Les termes d’intelligence artificielle et de machine learning sont-ils interchangeables ?
Les deux termes ont été utilisés dans des contextes différents mais en général ils désignent la même chose : des modèles mathématiques ajustés sur un ensemble de données et fournissant une réponse proche, ou meilleure, qu’un expert humain. »

L’intelligence artificielle et, en particulier le machine learning, correspond-il à un remplacement progressif de l’intervention humaine en santé ?
Il s’agit d’outils additionnels. Tous les professionnels de santé qui en font usage s’accordent à dire que, pour l’heure, c’est un accompagnement complémentaire utile. Nous pouvons être fiers que la France ait été en pointe dans le domaine, avec comme conséquence la création de nombreux laboratoires de recherche financés par des entreprises étrangères, y compris américaines.

Le cadre de protection des données de santé constitue-t-il un frein au progrès de l’intelligence artificielle, et donc au développement de la médecine personnalisée ?
Si l’on choisissait de répondre à cette question en faisant l’économie de critères éthiques et juridiques, on pourrait répondre que oui : sans barrière à l’usage, l’exploitation des données de santé, désormais disponibles en quantités exponentielles, permet des progrès rapides. On le voit d’ailleurs en Chine et aux USA où les critères d’usage sont plus souples qu’en Europe et en France. Mais exploiter les données personnelles de nos concitoyens sans veiller à leur bon usage, c’est aussi ouvrir la porte à beaucoup de dérives, à une exploitation fallacieuse… Le Health Data Hub tente de fournir une réponse à cette problématique afin de maintenir la France dans le peloton de tête des nations dans un domaine hautement stratégique tout en protégeant les données de nos concitoyens. Le règlement général sur les données personnelles (RGPD) entré en vigueur en mai 2018 dans l’Union européenne, et la loi pour une république numérique de 2016 sont des garde-fous fondamentaux. Le traitement des données personnelles est conditionné au consentement éclairé de la personne concernée et les données sont anonymisées pour éviter tout usage au détriment des patients. On ne peut que s’en réjouir car dans ces conditions, le progrès ne se fait pas aux dépens des libertés individuelles.

Pourquoi ne faut-il pas avoir peur de l’intelligence artificielle ?

Plus de la moitié des Français en ont peur. Pourtant, cette technologie n’a rien de nouveau…

Ce qui change, en réalité, c’est la prise de conscience. En effet, il ne s’agit plus seulement de quelque chose relevant de la science fiction ou d’une réalité lointaine. Les Français ont pleinement intégré que l’intelligence artificielle va bouleverser la société. Progressivement, différents objets et services commencent à entrer dans leurs vies. A tel point qu’ils anticipent un quotidien différent. Il est vrai qu’après la révolution industrielle et celle du numérique, l’intelligence artificielle est décrite comme le prochain grand bouleversement qui modifiera en profondeur l’organisation en société. D’où la crainte d’être remplacés, au moins en partie, par une IA. Clairement, ils sont inquiets sur l’avenir de leurs métiers.
Pourtant, l’intelligence artificielle n’est pas un phénomène nouveau. Cela fait environ un demi siècle que les premiers neurones artificiels ont été conçus. Et dès les années 90, plusieurs applications ont vu le jour. Mais les technologies mettent souvent du temps à se démocratiser afin d’être perçues par le grand public. Plus de 25 ans après l’émergence de l’intelligence artificielle, on assiste enfin à une prise de conscience des enjeux par le grand public. C’est la preuve que le sujet a atteint un degré de maturité fort, et il est parfaitement normal que, comme toute nouveauté, il apparaisse – à première vue – comme anxiogène. Les résistances et la défiance n’ont donc rien de surprenant, sauf que les gens imaginent parfois des réalités qui n’existent pas. L’idée que la machine va tuer l’homme est une pure chimère. L’intelligence augmentée ne signifie par un homme opprimé, mais au contraire, un homme complété.
Faire preuve de pédagogie pour désamorcer les craintes est donc absolument essentiel. Le devoir de communication est du ressort tant des pouvoirs publics que des acteurs privés. Et plus que jamais, la transparence est de mise. Cette la condition sine qua non d’une saine appropriation.
L’inquiétude ambiante ne doit pas néanmoins masquer le fait que pour un nombre important de Français, l’intelligence artificielle suscite plutôt de l’optimisme. Pour beaucoup de Français, l’IA est une chance d’améliorer leur quotidien. Ils sont informés des bénéfices attendus, notamment dans le domaine de la santé. Certains condamnent même le retard de notre pays sur ces sujets. En ce sens, la volonté du gouvernement de stimuler le financement de l’innovation et de la recherche est un signal à la fois fort et encourageant. Mais encore une fois, ne perdons pas de vue la nécessaire communication, véritable gage de réassurance. Et donc d’adhésion.

Machine learning

On parle aussi d’apprentissage artificiel. Cela définit un champ d'étude de l'intelligence artificielle basé sur des approches mathématiques et statistiques dans l’objectif de donner aux ordinateurs la capacité d' « apprendre » à partir de données. In fine, il s’agit d'améliorer leurs performances pour que ces machines soient à même de résoudre des tâches sans être explicitement programmés pour cela.

Big data

Cette expression désigne des ensembles de données devenus si volumineux qu'ils dépassent l'intuition et les capacités humaines d'analyse. L’objectif ultime est de réduire la prise de risques et de faciliter la prise de décision.

Anatomopathologie

Cette spécialité médicale se consacre à l'étude morphologique des anomalies macroscopiques et microscopiques des tissus biologiques et des cellules pathologiques prélevés sur des êtres morts ou vivants.

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