Les associations au cœur de l’innovation en santé

Collecte de fonds, comment motiver les donateurs? volet 3

10 182 126 € : c’est la somme record collectée lors de la dernière édition du Z-Event. Plus de 50 heures de streaming 1 caritatif qui témoignent que les jeux vidéo sont des leviers de générosité. Cette « nouvelle source de revenus » n’a pas échappé au secteur associatif qui multiplie les sollicitations envers les collectifs de streamers et organisateurs de compétitions de gaming (autrement dit, la pratique du jeu vidéo)… Immersion au cœur d’un univers où fiction et réalité ne font qu’un au profit de la bonne cause !

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Le live streaming est-il l’avenir du domaine caritatif ?

Physique d'athlète, cheveux noirs… Tiboy, de son pseudo de streamer, est un passionné de jeux vidéo. Il y consacre une partie de son temps libre, sans se considérer comme addict. « Le jeu vidéo est dans presque tous les foyers. Il concerne des dizaines de millions de personnes plus ou moins jeunes. Pour les associations, c'est donc une source incroyable de soutien », explique-t-il.

De plus en plus d’événements de gaming solidaire sont organisés depuis une dizaine d'années aux quatre coins de l'Hexagone. « Le dernier événement de gaming caritatif auquel j'ai participé, baptisé Une manette, un sourire, était organisé par Chœur de Gamers au profit de l'association Make-A-Wish France », se souvient Tiboy. A noter Make A Wish est une association qui permet de participer à la réalisation de vœux d'enfants malades. Trois jours de live streaming qui ont permis de récolter plus de 72 000 €. Du jamais vu pour l'association, en l'espace de "seulement" 72 heures. 1 000 € par heure… Aucun doute : les gamers savent se muer en généreux donateurs. « Ma seule et unique motivation quand je participe à ce genre d'événements est de mettre ma passion au service de la solidarité. Bien entendu, je m'amuse, mais l'ambition est de participer à un élan généreux », explique-t-il.
Réduire le streaming au seul gaming serait erroné. Le streamer diffuse ses parties de jeux vidéo en ligne sur Twitch, mais commente d'autres parties, présente d'autres jeux, donne son avis, échange avec son audience.

Miser sur la fidélité des internautes

Trois jours, c'est le format privilégié dans le cadre du Z-Event, le rendez-vous incontesté du gaming solidaire créé en 2017 par Alexandre Dachary (Dash) et Adrien Nougaret (Zerator). Comme l’expliquait ce dernier dans les colonnes de GQ : « La masse attire la masse. Plus on fait des Z-Events, plus les gens voient que ça fonctionne et que ça sert à quelque chose. Le public est sensible au fait que cette énergie bénéficie aux associations. D'ailleurs, pour montrer la concrétisation de la solidarité, en 2021, on a fait une vidéo directement en Centrafrique et on a créé un site web qui précise où sont allés les 10 millions d’euros collectés. C’est une nouvelle façon de faire un don : mieux adaptée aux jeunes, au web, et en toute confiance. Ensuite, il y a le côté bouche-à-oreille. On compte aussi sur la fidélisation : beaucoup d'entre eux reviennent chaque année. 90 % des gens qui avaient participé à la cagnotte en 2021 sont revenus en 2022 ».

Pour celles et ceux qui douteraient encore de la force de l'événement, les chiffres de la dernière édition du Z-Event suffisent à donner le tournis… 10 182 126 € collectés (contre 500 000 € la première année), 5 associations bénéficiaires2, une moyenne de 216 999 viewers (autrement dit de personnes ayant visionné), un pic d'audience à plus d'un million de personnes, 363 286 dons effectués pour un don moyen avoisinant les 20 €… De quoi laisser rêveur !

Et pour Médecins sans frontières, le rêve est devenu réalité en novembre 2018. Cette année-là, les organisateurs de Z-Event choisissent la structure humanitaire comme fer de lance de leur marathon caritatif sur la plateforme Twitch…
« Ce fut une édition incroyable. Même les organisateurs n'avaient jamais vu cela. Un engouement inédit, la participation d'une quarantaine de streamers et, au final, la barre symbolique des 1 000 000 € dépassée, soit le double par rapport à l'année précédente! », se souvient Anne-Lise Sirvain, responsable de la collecte au sein de Médecins sans frontières. De quoi permettre à l'association de poursuivre et renforcer ses activités médicales dans le Nord du Yémen

Du gaming à la solidarité…

Pourtant, à première vue, associer "gaming" et "solidarité" est loin d’être une évidence. Les jeunes générations sont accusées d’être moins généreuses et plus individualistes. De l'autre, les associations ont tendance à privilégier les rencontres physiques au digital et perçoivent souvent le gaming comme quelque chose d’insuffisamment sérieux!Les événements de "streaming caritatif", véritable phénomène de société, ont fait voler en éclats ces a priori.

« Au début de l'aventure, on n’était pas spécialement connu du cadre associatif. Personne ne savait d’où on sortait. Je pense que les gens ne se rendaient pas trop compte de la puissance que peut avoir le streaming. Aujourd’hui, quand je contacte une association, ce n'est plus le même débat. Quand on a une forme de notoriété, c’est presque un devoir de la mettre au service d’une cause », expliquait Zerator, dans l’article cité plus haut.

Du côté de Tiboy, c'est bel et bien le gaming qui fut la porte d'entrée vers la solidarité : « Je n'ai pas forcément le temps de m'investir dans l'action associative. C'est vraiment grâce à ma passion pour le gaming que j'ai découvert que je pouvais aider de belles causes associatives avec ce que je fais au quotidien, c'est-à-dire streamer. Je fais d'une pierre deux coups et je gagne du temps… Je m'amuse avec mes viewers et j'en profite pour récolter des dons pour de belles causes », se réjouit-il.

Une belle énergie collective

Tout streamer vous dira qu’au départ, il streame pour lui, puis progressivement pour les personnes qui le suivent. Z-event mais aussi Play to give, Let's play solidaire, Téléthon Gaming : la solidarité via le streaming et le gaming est aujourd'hui une source de collecte à part entière pour de nombreuses associations, aux côtés des formes plus classiques.

« J'ai vraiment été touchée par l'engagement et la bienveillance de la communauté des gamers et des streamers qui étaient en ligne durant le Z-Event. Tout le monde a réalisé un travail considérable et grâce à eux, au bout de 53 heures, nous avons décroché la lune… Sur place, on pouvait ressentir l'engouement, l'émotion, l'amitié. C'est un milieu parfois décrié mais au sein duquel il y a vraiment une belle énergie collective et de belles personnalités. Pour Médecins sans frontières qui vit presque intégralement de la générosité privée, ce type d'actions est essentielle », indiquait Delphine Leterrier, directrice générale adjointe de Médecins sans frontières au moment du Z-Event 2019 sur le site de MSF.

Ceci étant dit, toutes les associations peuvent-elles s'inscrire dans une démarche de gaming solidaire aux côtés de streamers confirmés ? La notoriété acquise par certaines associations d'envergures nationale ou internationale constitue un argument de poids auprès de la communauté des streamers. Cette notoriété représente une caisse de résonance lors de l'événement. Et même si la comparaison entre associations est toujours délicate, la réalité impose de pointer du doigt les capacités limitées des petites associations, en termes de ressources humaines, logistiques et financières.

Jean-Michel Fourrier, président de l’AFPF, est pour sa part assez critique sur le phénomène : « ces nouveaux modes de collecte semblent être réservés à des causes majeures, déjà connues du grand public. Le téléthon ou le sidaction, par exemple, sont des événements qui touchent beaucoup de monde. C’est beaucoup plus difficile pour des associations de maladies rares comme la nôtre, car la fibrose pulmonaire n’est pas connue. Et je ne vois pas comment ce type de collecte aurait un écho pour nous ». Sans critiquer, il ne se reconnaît pas du tout dans ce type d’événement. Par ailleurs, il se voit mal cautionner des démarches avec des gamers qui participent à des jeux de guerre : « c’est peut être une question générationnelle, mais je ne suis pas à l’aise avec la violence véhiculée par ces jeux. J’ai le sentiment que nous n’avons pas les mêmes valeurs, et j'ai du mal à adhérer à l'idée qu'un gamer qui joue en réseau à envoyer des bombes et des grenades participe à récolter des fonds pour la santé ». Si le live streaming s’est popularisé, il ne convainc pas encore toutes les associations !

1. Le streaming est une technique de diffusion et de lecture en ligne et en continu de données multimédias, qui évite le téléchargement des données et permet la diffusion en direct.
2. Les 5 asso bénéficiaires sont : WWF France, LPO France, the SeaCleaners, Sea Shepherd Global, Time for the planet… A noter que cette 5e organisation s' est finalement retirée de la collecte, étant une entreprise

Chœur de gamers : la collecte solidaire

En l'espace de trois ans, Chœur de Gamers a permis la collecte de plus de 400 000 € au profit de huit associations et fondations différentes. Preuve que la communauté des streamers, bien loin de l'image réductrice "d'internautes individualistes" qu'on lui prête, sait se montrer généreuse et solidaire… Rencontre avec Frédéric Rochette, président-fondateur de l'association montpelliéraine, aujourd'hui reconnue d'intérêt général.

Comment, au cours de l'année 2018, mûrit l'idée de créer une association dédiée à la collecte de fonds au profit d'associations via des événements gaming et streaming ?

FR : Passionné par l'univers des jeux vidéo et du e-sport (ce concept désigne la pratique sur Internet d'un jeu vidéo seul ou en équipe, par le biais d'un ordinateur ou d'une console de jeux), je suis un bénévole et philanthrope dans l'âme. Je me suis engagé très jeune dans plusieurs associations solidaires. Ma participation en 2018 au Z-Event organisé à l'Aréna de Montpellier au profit de Médecins sans frontières est l’élément déclencheur. Pendant trois jours, j'ai pu mesurer l'élan solidaire qu'était capable de générer la communauté des streamers. Cependant, je ne voulais pas juste copier la démarche et réunir un collectif de streamers lors d'un unique événement annuel – d'autant plus que Z-Event reste l'événement phare du streaming solidaire. Il s'agissait plutôt d'apporter mon propre style, ma propre énergie en créant une association dédiée au gaming solidaire et en sollicitant plusieurs fois dans l'année la générosité de la communauté des gamers et du e-sport dans le cadre d'événements.

Dès la première année, c'est un succès qui confirme toute la pertinence de votre initiative…

À la création de l'association, nous n'étions pas connus. Tout était à faire, à commencer par démarcher les associations et les sensibiliser à notre démarche, sachant que le gaming solidaire était encore nébuleux pour la majorité d'entre elles… Avec mon entourage, nous avons donc activé notre réseau et les streamers ont répondu présents. Notre 1er événement a permis de collecter 16 000 € au profit des Petits frères des Pauvres. La machine était lancée. Depuis, chaque année, avec l'aide de nos partenaires dont Clap event que je tiens à remercier pour leur aide précieuse en termes de logistique, nous réalisons 2 à 3 événements. Nous avons déjà collecté plus de 400 000 € reversés aux associations Petits Princes, Make a wish France, Greenpeace, Sidaction, Plus Rose la Vie, à la Fondation des Hôpitaux ou à celle pour la recherche médicale. Nous sommes fiers du parcours accompli puisque l'association repose uniquement sur un noyau dur d'une dizaine de bénévoles qui se renforce lors des événements. Je crois aussi et surtout que c'est toute la communauté des streamers et des gamers qui peut être fière de son engagement désintéressé et des résultats obtenus.

Chaque événement est l'occasion d'aller à l'encontre de fausses-idées sur les gamers souvent présentés comme coupés de la réalité. A qui profite cette nouvelle forme de solidarité ?

D'abord et avant tout aux associations qui collectent des fonds afin de financer leurs actions mais surtout qui bénéficient au sein de la communauté des streamers d'une formidable caisse de résonance pour véhiculer leurs messages. S'associer à cette communauté est l'occasion pour l'association de rajeunir son image, d'élargir son public avec une cible à laquelle elle n'a pas l'habitude de s'adresser. Il n'y a pas plus collectif qu'un streamer car quand vous jouez en réseau, par définition, vous n'êtes jamais seul. Ce sont des gens, comme vous et moi, qui ont choisi d'allier leur passion du jeu avec des valeurs humanistes et leurs ambitions solidaires et sociétales.

Comment s'organise concrètement un événement de streaming solidaire ?

Le temps de streaming est plus ou moins long – de quelques heures à plusieurs jours. Les personnes connectées échangent et partagent leurs expériences, leurs connaissances, leurs astuces, leurs problématiques… Le rendez-vous peut également prendre la forme d'un événement compétitif qui voit les gamers s'affronter, dans une forme de tournoi. De notre côté, nous contactons les streamers et leur proposons d'animer leur stream au profit de l'association. Les convaincre est un peu plus compliqué aujourd'hui, ils sont de plus en plus sollicités. N'oublions pas que certains vivent de leurs streams et donc, pendant un ou deux jours, c'est financièrement une perte sèche pour eux. Mais dans la grande majorité, ils sont contents de donner de leur temps pour une association. Nous mettons en place toute la logistique et la communication en amont, pour expliquer le déroulé, et nous associons à des plateformes de collecte en ligne. Les dons en ligne sont directement versés sur le compte de l'association bénéficiaire.

Comment expliquez-vous le boom exponentiel que connaît le streaming ou le gaming solidaire ces trois dernières années ?

Quand nous avons créé l'association, nous n'étions pas connus et nous devions démarcher les associations. Désormais, je reçois des dizaines d'appels et de mails par mois pour créer un événement au profit d'associations, qui s'engagent sur la voie tracée par le Z-Event. Elles veulent disposer de ces outils de collecte sans avoir à organiser l’événement, mais aussi élargir et rajeunir leur public-cible pour faire connaître leur cause … Nous étudions chaque demande, en réalisant notamment une rencontre physique ou en distanciel avec les responsables de l'association pour identifier leurs motivations. Et puis on envisage ensemble les possibilités d'action dans le cadre d'une convention de partenariat. Nous essayons d'aider un maximum d'associations !

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Partie 1 de notre focus en plusieurs volets consacré à la collecte de fonds

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Partie 2 de notre focus en plusieurs volets consacré à la collecte de fonds

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M-FR-00008642 - V1.0 - Etabli en Avril 2023

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