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Mon médecin, ce robot !

La robotique médicale est passée en l’espace d’une trentaine d’années, de champ applicatif de la technologie industrielle à une discipline à part entière. Elle concerne l’imagerie, la chirurgie, l’assistance à la personne… Au point d’apparaître comme LA solution aux enjeux clinique, économique, technologique et organisationnelle que soulève aujourd’hui la prise en charge sanitaire. Avec en suspens des questions d’ordre éthique.

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Mon médecin, ce robot !

La scène est digne des romans de science-fiction. Elle est pourtant bien réelle. Dans cet hôpital de la banlieue de Tokyo, un robot assiste les chirurgiens lors des opérations de l’appareil digestif. En parallèle, une machine prépare les médicaments et les délivre aux patients. Une intelligence artificielle veille à l’enregistrement administratif des personnes et les orientent. Enfin, dans une salle dédiée, des personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral réapprennent à marcher avec un exosquelette grâce aux signaux émis par leur cerveau. Pas de doute, en matière de robots destinés à la santé, le Japon fait figure de pionnier, même si, aux quatre coins du monde, l’intelligence artificielle prend une place de plus en plus importante dans la réponse sanitaire. La France ne fait pas exception avec une robotisation croissante au sein des établissements de santé.

Des partenaires « particuliers » des soignants

Pour optimiser la prise en soin, il convient d’abord de renforcer les compétences des soignants. Une ambition dont les robots sont partie prenante, permettant aux chirurgiens de se former aux opérations complexes et d’affiner leurs gestes médicaux. Il existe même des robots cobayes pour rendre plus efficace la médecine d’urgence. Face à un robot doté de scénarios préprogrammés (respiration spontanée, contrôle des voies aériennes, troubles du rythme cardiaque), le personnel médical simule des actes médicaux de réanimation et soins intensifs. Avec les robots DA VINCI, CASPAR, ACROBOT, Neuromate, ou Hippocrate, la simulation devient réalité. Ils participent chaque année à des milliers d’opérations chirurgicales mini-invasives. Robots porte-aiguille, robots-guides pour la chirurgie orthopédique, robots pour la chirurgie transluminale ou à trocart unique, cathéters actifs, stabilisateurs cardiaques actifs ou encore robots autonomes de type capsules ingérables… ils se sont rendus indispensables. Même constat réaliste en ce qui concerne les diagnostics avec, pour exemple, l’intelligence artificielle Watson. Développée par IBM, elle analyse toutes les données autour d’un même patient (symptômes, remarques du praticien, entrevues avec le patient, précédents familiaux), apprend des milliers d’études publiées chaque année en cancérologie, prend en compte tous les tests et essais cliniques pour, in fine, établir le diagnostic le plus vraisemblable et ainsi trouver le traitement le plus adapté. Et ça marche ! Pour preuve, en Chine, l’intelligence artificielle BioMinda a récemment « battu » les meilleurs radiologues lors d’un concours de diagnostic de tumeurs avec 87% de résultats positifs contre 66% pour les humains.

Une présence robotique et thérapeutique

Et pour celles et ceux qui croient que la robotisation ne concerne que la chirurgie de pointe, MedWhat démontre que la technologie peut également constituer un support médical d’ordre généraliste. Développée par des médecins de l’université californienne de Stanford sur le même principe que Siri, cette application répond via un robot conversationnel à toutes les questions liées à la santé. Développer les compétences professionnelles grâce au robot est une chose, améliorer l’humanité par la science en est une autre. C’est tout l’objet de la robotique humanoïde qui révolutionne, par exemple, les principes de la prothèse ou de l’exosquelette. Les prothèses bioniques, créées pour remplacer les membres amputés chez les personnes handicapées, sont, à ce titre, contrôlables par la pensée et s’attachent aux muscles du membre amputé. Les contractions de ces derniers sont alors mesurées par des électrodes qui envoient à la prothèse des signaux électriques pour faire bouger le membre du patient. Mais comme pour toute utilisation de la technologie par l’Homme, le risque de dérives n’est pas à exclure : l’armée Américaine travaillerait actuellement sur un exosquelette permettant au soldat de transporter des armements lourds, un puissant ordinateur et une protection pare-balles ! Et dans une société où les liens sociaux sont un paramètre non négligeable dans le bien-être, les robots sont parfois pensés comme des outils d’accompagnement des personnes âgées et alitées. Certains, humanoïdes et de petite taille, sont même commandés par la voix et à travers une tablette tactile faisant office de visage. Ils sont alors programmés pour réaliser des activités d’animation (chansons, photos, vidéos, jeux). Le robot de téléprésence Vik-E a été créé pour maintenir le lien entre les patients et leur entourage. Du côté des personnes âgées, c’est le petit robot phoque PARO qui à la côte. Distribuée dans les maisons de retraite, cette peluche est équipée de sept moteurs, qui lui permettent de bouger la tête, cligner des yeux, remuer la queue et les nageoires. Trois micros renvoient des informations à un logiciel d’intelligence artificielle. C’est cette intelligence qui adapte en conséquence les mouvements et l’intonation du PARO, offrant à chaque malade une stimulation cognitive personnalisée. Enfin, toujours dans le cadre du vieillissement de la population et de la perte d’autonomie inhérente, les technologies d’assistance à la personne sont également très actives. Leur objectif étant d’améliorer l’autonomie et de favoriser le maintien à domicile.

Robotique médicale : très peu d’élus…

Miser sur la robotique, c’est aussi favoriser l’essor de la recherche et des emplois dans ce secteur. En chimie, les programmes d’apprentissage automatique aident à la conception de nouvelles molécules. La robotique médicale, encore plus que d’autres disciplines de la robotique, est confrontée à un temps de cycle des projets très long lié à la nécessité impérieuse de non seulement réaliser un prototype mais également de le tester in vivo. Ainsi, le temps nécessaire entre le démarrage d’un projet et les premières publications dépasse le plus souvent trois années. C’est seulement après de nombreux tests in vivo, et souvent aussi après plusieurs versions du prototype, que l’on peut envisager le transfert du système vers une version commerciale. Au final : peu de robots médicaux sortent du laboratoire pour tenter l’aventure commerciale, et encore moins sont des succès commerciaux. Et aussi performants soient-ils, les robots continuent de susciter des craintes. A commencer par celle qui verrait l’ordinateur intelligent détruire la race humaine, ou en d’autres termes : la peur de voir la création se retourner contre son créateur. D’autres voient dans les applications médicales la possibilité de remplacer le médecin dans les déserts médicaux ou filtrer les patients. Mais l’utilisation par le public des logiciels sans supervision médicale soulève des questions éthiques. Le système réduit la relation au médecin à un acte technique, laissant le patient à ses interrogations et ses angoisses.
Par ailleurs, le risque que le médecin abdique devant la machine « qui sait mieux que lui » est réel. Et quelles conséquences pour la confiance du médecin si la machine s’est trompée ? Pour éviter cela, le médecin doit toujours être en mesure de garder son autonomie face à la machine. Les systèmes doivent aider à la décision et non la rendre. En clair, pas de science sans conscience, car il conviendra toujours d’orchestrer et piloter la robotique par l’être humain.

Da Vinci, un robot révolutionnaire

C’est un robot aux airs de pieuvre géante qui équipe les blocs opératoires de plus en plus d’établissements en France. Innov’Asso dresse le portrait-robot de cette machine hors du commun qui en est à sa 5ème génération et dont la France constitue le 3ème marché après les Etats-Unis et le Japon.

Dans l’histoire de la chirurgie, il y aura incontestablement un avant et un après le robot Da Vinci. Présentation en 5 mots-clés de cette prouesse technologique qui, en France et ailleurs, a fait basculer la chirurgie dans l’ère de la robotique.

US Army 

Il a été baptisé Da Vinci en hommage au célèbre inventeur. Développée à la fin des années 1980 à l’ancien institut de recherche de Stanford, la technologie du robot Da Vinci a été financée, à l’origine, par l’agence de R&D de l’armée américaine. Elle devait permettre à des médecins d’opérer à distance en zone de conflit mais le projet a été abandonné faute de crédits. Pourtant en 1991, la première opération du robot Da Vinci, une ablation de la prostate, est réalisée en Allemagne. Et vingt ans plus tard, 5 millions d’interventions ont été menées avec l’aide du robot.

Mini-invasif

Le robot Da Vinci est doté de trois ou quatre bras selon les modèles : un bras est muni d’un endoscope (caméra) et les autres de scalpels et de bistouris. Le robot réalise ainsi une chirurgie dite « mini-invasive », comprenez une chirurgie réalisée à partir de petites incisions. Résultat : le robot est particulièrement apprécié par les hôpitaux pour des actes réalisables en ambulatoire. A noter que le médecin reste le coordonnateur principal de l’acte chirurgical puisque c’est lui qui pilote les bras du robot à partir d’une console sur laquelle il reçoit des images 3D de la zone à opérer.

Coût

L’investissement n’est pas négligeable puisque à l’achat, il faut compter entre 1,5 et 2 millions d’euros pour le robot Da Vinci. A ce coût, il faut ajouter environ 150 000 € de maintenance par an. Ces dépenses sont entièrement à la charge des établissements qui acquièrent le robot. Néanmoins, chaque année, de nouveaux établissements de santé se dotent de cet outil révolutionnaire qui a fait ses preuves. Près de 125 robots sont aujourd’hui déployés en France (répartis entre établissements publics et privés).

Bénéfices

Les avantages du recours au robot sont certains : une meilleure visualisation de la zone à opérer grâce à la 3D, une plus grande dextérité, une précision accrue et une excellente ergonomie pour le chirurgien – une récupération plus rapide, une diminution du risque de complications post et péri-opératoires, des cicatrices moins visibles, et un temps d’hospitalisation raccourci pour les patients.

Multidisciplinarité

La cinquième génération de robots a été mise sur le marché aux États-Unis. Aux opérations initiales de la prostate et du rein se sont ajoutées celle du larynx et de la sphère ORL, de l’appareil urinaire, de l’appareil digestif ou encore la chirurgie cardiothoracique.

« Les robots sont de plus en plus acceptés ! »

Il ne sert à rien de fantasmer sur une super intelligence artificielle. Il importe au contraire d’œuvrer aujourd’hui sur du concret. Autrement dit : réfléchir à comment coexister avec les robots. Depuis quelques années déjà, Laurence Devillers anime une équipe de recherche sur « les dimensions affectives et sociales dans les relations entre les robots et l’Humain ». Rencontre avec cette spécialiste des interactions Homme-machine, également chercheuse au LIMSI-CNRS et professeur en informatique et intelligence artificielle à la Sorbonne..

Innov’Asso : Gestes chirurgicaux, diagnostic ou décision thérapeutique… Lorsqu’on s’intéresse à la performance, est-il raisonnable de comparer les robots et les professionnels de santé ? Dans quelle mesure le patient est-il protégé d’une erreur technique ?

Laurence Devillers : Il ne faut pas comparer les performances des robots et des professionnels de santé. Les robots ne vont pas remplacer les humains ! Par contre, les machines vont apporter une aide précieuse aux personnels de santé pour améliorer gestes chirurgicaux, diagnostic ou décision thérapeutique et surveiller les patients de façon plus performante. Afin de protéger les patients, il est important de rendre les décisions des machines les plus transparentes et explicables possibles.

Innov’Asso : Au regard de ce constat et de vos observations, quel est aujourd’hui le niveau d’acceptabilité des robots ?

L. D. : L’acceptabilité est relativement bonne chez les personnes âgées. Je pense notamment à l’utilisation d’un outil comme le phoque Paro. Il a été démontré qu’il avait un effet apaisant chez les personnes âgées, notamment celles atteintes de troubles cognitifs. Cet outil de médiation va participer à diminuer l’anxiété de la personne malade ou âgée et en perte d’autonomie. D’autres robots dotés de systèmes d’interactions vocales comme Nao, Pepper (Softbank robotics) ou encore Cutti (robot français d’assistance) sont déjà testés auprès de patients pour différentes applications d’assistance.

Innov’Asso : Peut-on alors réellement imaginer une thérapie sociale qui verrait le recours à des robots ?

L. D. : On peut imaginer une thérapie sociale avec des robots sous contrôle d’humains, par exemple l’entourage proche du patient et les professionnels de santé qui assureraient un contrôle médical. Des formes de thérapie sociale incluant l’intelligence artificielle existent déjà. Je prends pour exemple des solutions de serious game qui permettent de s’entraîner à différentes tâches de mémorisation, d’attention, etc. Une règle d’or qui me semble importante à respecter : la présence de plusieurs êtres humains pour une ou plusieurs machines pour ces thérapies sociales !

Innov’Asso : Quel est le risque à opter pour une relation en face-à face exclusif avec la machine ?

L. D. : Le face à face exclusif avec la machine présente le risque de créer une forme de dépendance et de basculer progressivement vers une déshumanisation. Quel que soit leur degré de performance, les robots ne remplaceront jamais l’être humain. Il s’agit de les appréhender comme ce qu’ils sont, à savoir de nouveaux outils qu’il convient d’intégrer dans des interactions sociales triangulaires, avec les patients, mais aussi avec les aidants ou soignants.

Innov’Asso : Le robot est-il toutefois appelé à prendre une place plus grande dans la santé ?

L. D. : On s’achemine vers des robots de toutes les formes, avec toutes sortes de fonctionnalités. Ils sont donc assurément appelés à être de plus en plus présents et de mieux en mieux acceptés. Les futures personnes âgées auront connu l’intelligence artificielle dans leur quotidien. Le fossé générationnel sur ce sujet va progressivement se réduire, même si cela prendra du temps. En tout cas, en parler est une excellente chose et favorise l’acceptation par le grand public mais aussi par les professionnels de santé. Par exemple, l’intelligence artificielle est à l’heure actuelle très bien acceptée pour la surveillance ou la stimulation de comportements favorisant une meilleure prise en compte de sa santé. On compte ainsi sur elle pour nous encourager à faire plus d’activité physique ou nous alerter sur tel ou tel comportement qui pourrait avoir une incidence bénéfique ou néfaste sur notre santé.

Innov’Asso : Si l’impact « sanitaire » des robots ne fait aucun doute, qu’en est-il sur le plan économique pour notre système de santé ?

L. D. : Il est nécessaire de construire un écosystème qui donne accès à ces outils à des prix accessibles, en location ponctuelle par exemple, avec une sécurisation des données des patients. Pour que l’utilisation des robots soit vectrice d’économies, il faut construire agilement cet écosystème en impliquant différents acteurs : les soignants, les assureurs, les fabricants, les utilisateurs… De plus, il faut donner à chacun les clés de compréhension quant au bon usage de ces nouvelles ressources. Il y aura un véritable besoin d’éducation autour des objets robotiques avec un niveau adapté selon les acteurs. Les fabricants ont déjà pris conscience de l’importance de penser et de cibler l’usage des dispositifs dès leur conception, mais des aspects tels que la sécurité, les assurances, le stockage des données, le coût et, par conséquent, l’accessibilité aux robots ne sont pas encore clairement définis. Ce sont pourtant des questions centrales car du niveau de transparence dépendra l’exploitation optimale des robots.

Auteure de plus de 150 publications scientifiques, Laurence Devillers a notamment écrit le livre Des robots et des Hommes, mythes, fantasmes et réalités, publié chez Plon, en 2017

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