Les associations au cœur de l’innovation en santé

Quelle éthique pour la e-santé ?

Légitimement source d’espoirs quant à l’amélioration de la prise en charge des soins, la e-santé continue pourtant d’interroger, notamment sur les questions relatives à l’éthique. Du côté des lanceurs d’alerte, on se défend de freiner l’innovation. En toile de fond, une question majeure : à qui profite la santé connectée ?

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Quelle éthique pour la e-santé ?

Derrière le terme « Santé connectée » s’ouvre le vaste champ des nouvelles technologies de santé : des objets connectés à la télémédecine en passant par l’exploitation des données. Qui dit nouveaux outils dédiés à la santé, dit aussi nouvelles façons de soigner et redéfinition des rôles des soignants, chercheurs, industriels, patients, institutions… Une chose est sûre : le questionnement éthique est essentiel au vu de la place prépondérante qu’est appelée à prendre la santé connectée dans le système de soins. « Les questions éthiques qui se posent dans le domaine de la santé numérique interrogent sur la place donnée aux personnes en situation de fragilité dans la société. Quand je dis personnes fragiles, j’entends les personnes en situation de handicap ou souffrant de troubles cognitifs par exemple, car ce sont elles qui doivent le plus souvent affronter des situations où on leur soustrait, volontairement ou involontairement, leur droit à choisir, à participer, à s’exprimer, à tout simplement exister dans la société comme n’importe quel citoyen », avance Hervé Delacroix, administrateur d’APF France handicap.

Une e-santé accessible à tous…

Le concept de « e-santé » pourrait se résumer comme une interaction repensée entre l’individu et la machine. En clair, une machine qui serait capable d’utiliser les données médicales pour nous protéger des maladies, mieux les diagnostiquer ou encore optimiser les choix thérapeutiques. A condition que tous les patients puissent y avoir accès et éviter toute fracture numérique. Comme l’explique Hervé Delacroix : « La santé connectée doit d’abord être accessible à tous. Une accessibilité numérique sur le plan territorial, une accessibilité financière avec des coûts supportables pour tous (patients ou structures), une accessibilité technique avec des fonctionnements intuitifs et compréhensibles, quels que soient ses niveaux socio-culturels et intellectuels. Garantir cette universalité d’accès, à l’image de ce qui existe pour la protection sociale, c’est favoriser le recours aux soins et écarter tout phénomène d’exclusion ou de différenciation. La santé connectée se doit, par ailleurs, de respecter les droits fondamentaux des personnes et de simplifier les parcours de soins. Enfin, elle ne doit surtout pas déshumaniser le système de santé. Or on peut craindre : une relation soignant-soigné biaisée voire annihilée. » Ce qui serait en totale contradiction avec l’ambition avancée par tous les promoteurs de la santé connectée, à savoir : replacer le patient au cœur de la prise en soin, le faire passer d’acteur passif à acteur éclairé dans sa prise en charge pluridisciplinaire. La formation aux outils de la santé connectée apparaît, à ce titre, comme un passage obligé. « Elle évitera du stress et favorisera l’acceptabilité, du côté des patients comme des soignants. Pour responsabiliser les acteurs, il faut non seulement bien expliquer les bénéfices de la e-santé mais aussi expliciter ses limites. Exemple : les algorithmes d’aide à la décision médicale, de plus en plus utilisés, ne remplaceront jamais la vision et la réflexion du médecin issues de son expérience de terrain », prévient Hervé Delacroix.

Des garanties solides à apporter sur la sécurité du système

Informer pour rassurer : voilà l’autre cheval de bataille des développeurs de produits de e-santé. Rassurer notamment quant à la sécurité entourant les données personnelles toujours plus nombreuses. Le système doit ainsi apporter des garanties solides qu’aucune faille ne permettra une utilisation frauduleuse ou malveillante des données de santé. Connectée via des applications en santé, une personne peut en effet transmettre tout type d’informations : tension, rythme cardiaque, glycémie, traitements… « Ces données sont une richesse à condition qu’elles soient exploitées intelligemment au bénéfice du patient. Le dossier médical partagé, par exemple, est une excellente chose car il évite pertes de temps et erreurs. Mais la collecte comme l’utilisation des données doivent être encadrées. Je regrette l’absence de modalités de consentement révisable qui permettrait au patient d’autoriser ou non l’accès et le traitement de ses données et de contrôler l’usage qui pourrait en être fait », ajoute Hervé Delacroix. Et de conclure : « Nous, associations de patients, devons être des éléments de régulation, les porte-parole des différences et des spécificités. Nous devons participer à installer efficacement la e-santé dans notre système tout en encourageant le développement d’une éthique européenne du respect de la personne. »

Rien ne vaut l’expérience… utilisateur

Organisés en association, les chantres de l’Expérience Utilisateur débattent et échangent annuellement lors des Flupa UX Days et, de façon plus régulière, lors de meet-up thématiques. Deux temps de rencontres qui leur ont récemment permis d’évoquer le lien entre design et éthique, mais aussi l’enjeu de l’Expérience Utilisateur en matière de santé connectée.

Les passionnés de l’Expérience Utilisateur (UX) ont LEUR rendez-vous. Organisé chaque année depuis 2012, l’événement Flupa UX Days, du nom de l’Association francophone des professionnels de l’Expérience Utilisateur (Flupa) coordonnée par Patrick Vallon, UX Designer, est devenu « the place to be » pour tous les professionnels, acteurs des secteurs publics ou privés, chercheurs et autres étudiants séduits par le concept de l’UX. Cette communauté réunit 1500 designers, rien qu’en région parisienne. Pour l’édition 2018 qui s’est tenue en juin dernier, les chantres de l’Expérience Utilisateur ont choisi d’évoquer celle-ci dans le domaine de la santé, notamment au travers d’une application de suivi de patients en milieu hospitalier. Il faut dire que la relation médecin - patient - famille est plus compliquée qu’il n’y paraît et, force est de constater qu’une mauvaise expérience utilisateur dans la santé peut engendrer de graves conséquences pour le patient entre isolement, non adhésion au traitement ou encore aggravation de la pathologie.

Les autres temps forts pensés par Flupa prennent la forme de meet-up thématiques, tel celui baptisé « Éthique et design » organisé récemment à Paris en partenariat avec l’association des « Designers Éthiques ». « L’ensemble des acteurs n’a pas encore conscience de la dose d’éthique à incorporer dans leurs propositions pour être plus pertinents. Ce questionnement éthique est d’autant plus important et légitime quand il s’agit d’évoluer dans des domaines sensibles comme la santé », explique Patrick Vallon.

Les datas au cœur des décisions

Donner voire redonner la parole aux patients : tel est le principal enjeu des réflexions éthique(s) et pratique(s) menées dans le cadre de l’Expérience Utilisateur. Résultat : de nombreuses applications santé comprennent désormais une messagerie, une timeline, des notifications push, la possibilité d’échanger et de poser des questions. Côté médecins, les ateliers d’Expérience Utilisateur ont permis de mettre en avant la problématique du suivi quotidien des patients et toute la nécessité de disposer des bonnes informations au bon moment pour prendre la bonne décision.

En d’autres termes : s’appuyer sur les données de santé pour nourrir des décisions objectives et concrètes. Recueillies dans le cadre de l’Expérience Utilisateur, elles permettent :

  • de quantifier objectivement le retour sur investissement de l’Expérience Utilisateur
  • de confirmer la pertinence d’un design
  • de rendre les décisions plus légitimes en les justifiant
  • d’argumenter l’intérêt d’un déploiement à grande échelle d’une application.

« Les données nous permettent de mieux connaitre l’utilisateur, sa personnalité, d’analyser des problèmes d’utilisation en temps réel et de prendre des décisions guidées par des arguments concrets et solides », explique Patrick Vallon. Cette ambition requiert une évolution des pratiques pour toujours plus de collaborations. Le designer se doit ainsi de partager son savoir et de travailler avec l’ergothérapeute, le médecin et le patient. Il lui est surtout impossible d’ignorer la dimension éthique de son action, notamment au moment d’aborder des projets touchant à la santé de ses concitoyens. Autant dire que l’Expérience Utilisateur ne s’applique pas qu’au web ou qu’aux outils connectés mais au quotidien. De quoi lancer sur le marché des outils de santé performants capables d’accompagner le patient et in-fine participer à l’efficience de la prise en charge des soins.

« Le droit a toujours accompagné les innovations technologiques »

Le développement des nouvelles technologies, notamment au travers de l’exploitation des données de santé, nourrit une réflexion tant juridique qu’éthique. Mais nouvelles technologies, droit et éthique sont-ils compatibles ? Eléments de réponse avec Anne Marie Benoit, juriste, laboratoire PACTE, CNRS.

Quels grands principes de droit met aujourd’hui en jeu la santé connectée ?

Le terme e-santé est un singulier mais nous sommes face à une notion plurielle. En effet, la santé connectée est un domaine très vaste allant des dispositifs médicaux connectés aux outils de la télémédecine, en passant par toutes les applications de suivi médical. A ce titre, plusieurs aspects de la e-santé questionnent le droit et son application.
Le premier aspect concerne la caractérisation et le devenir des données sensibles. Il s’agit d’identifier les données à risque et de comprendre en quoi ces données et leur circulation constituent un risque pour la vie privée des personnes. La mise en œuvre du Règlement général sur la protection des données (RGPD) a apporté une première réponse en posant un cadre juridique au traitement des données personnelles.

Qu’en est-il des autres aspects de la e-santé qu’il convient de considérer au regard de la législation ?

Toujours sur le plan des données, outre leur caractérisation et leur devenir, il est essentiel de définir les conditions de partage de celles-ci. Par exemple, dans le cadre de l’effort de maintien à domicile des personnes âgées, de plus en plus d’acteurs dans le secteur médical sont amenés à intervenir au domicile de ces personnes. Mais cela amène une question : qui doit ou peut accéder à telle ou telle information concernant le patient? Quid des professionnels non soumis au secret médical, comme les aides-soignants ? La croissance exponentielle du volume des données de santé entraîne une remise en cause sociologique des métiers et des pratiques. Enfin, il faut prendre en compte le stockage et la conservation des données, lesquelles ne cessent de prendre de la valeur.

Qui dit données sensibles à sécuriser, dit logique de responsabilité. Comment cela s’applique-t-il aujourd’hui ? Concrètement, qui est responsable de quoi ?

C’est, en effet, une question centrale. Le partage des données renvoie aux responsabilités de chacun quant à leur exploitation. Or, les nouvelles technologies modifient la logique de responsabilité. Le médecin et le patient, qui étaient historiquement les porteurs de la responsabilité, doivent désormais composer avec d’autres acteurs que sont notamment les chercheurs et les industriels. La question de la responsabilité se pose également lorsque l’on parle de dispositifs médicaux. Vers qui un patient doit-il se retourner en cas de désagrément avec un dispositif ? Vers le fabriquant, le distributeur, le prescripteur ? Le patient a–t-il lui-même une responsabilité quant à la bonne utilisation de la technologie ? La nouvelle législation, attendue début 2019, devrait préciser le statut juridique des dispositifs médicaux.

Légiférer est-ce LA solution pour garantir l’éthique en matière de santé connectée ?

Avant de répondre à cette question, il faut distinguer deux notions : le « droit écrit », parfois appelé « droit dur », qui réunit les articles de loi écrits par le législateur, et ce qu’on appelle le « droit souple ». Ce dernier regroupe les codes déontologiques, les référentiels… Ces normes ne sont pas produites par le législateur mais par les acteurs d’un écosystème donné. Le conseil d’état a reconnu la valeur normative du droit souple comme complément du droit écrit. A mon sens, le droit dans sa globalité est une réponse mais elle ne peut être la seule.

Le cadre juridique actuel peut-il garantir l’éthique dans la santé connectée ?

Il est aujourd’hui impossible de répondre à cette question. Nous en sommes clairement au point zéro. Une chose est sûre : le droit a toujours accompagné les innovations technologiques. Mais en raison de l’agilité des nouvelles technologies et de leurs évolutions constantes et rapides, le droit écrit a bien des difficultés à s’adapter. Car écrire les lois, cela prend du temps. D’où l’intérêt du droit souple plus adapté à la vitesse de l’innovation dans le domaine des nouvelles technologies en santé. Le droit est certes un garde-fou mais c’est aussi un facilitateur qui doit permettre à chacun – professionnels de santé, industriels, usagers – de se positionner par rapport aux nouvelles technologies.

Quelles sont les nouvelles approches et pistes de réflexion pour faire évoluer le cadre juridique en faveur de l’éthique ?

Le juridique et l’éthique sont des frères consanguins. Ils sont indissociables. L’approche living Lab présente l’intérêt de rassembler tous les acteurs (industriels, start-up, patients usagers, juristes, sociologues…) pour des réflexions pluridisciplinaires en amont des projets. Il est intéressant de voir que l’éthique est devenue une composante de la réflexion au regard de la place croissante des sciences économiques et sociales aux cotés des sciences biomédicales, de l’ingénierie technique et de l’informatique.

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