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Education thérapeutique : « informer n’est pas éduquer »

Sonia Tropé, directrice de l’ANDAR (Association Nationale de Défense contre l’Arthrite Rhumatoïde) connaît bien le sujet de l’éducation thérapeutique, dont elle a fait son « cheval de bataille ». Elle regrette quelques dérives par rapport aux objectifs initiaux…

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Des programmes souvent trop « industriels »

Comme le souligne Sonia Tropé, « alors que ces formations concernaient initialement essentiellement les professionnels de santé, elles se sont ouvertes à un public beaucoup plus large ». Elle précise que, désormais, des assistantes sociales ou des patients experts peuvent y participer. Et même des aidants. Depuis 2010, il est plus fréquent d’avoir des patients dans les programmes d’éducation thérapeutique. Ce sont les agences régionales de santé qui donnent l’autorisation à ces programmes et qui, dans certains cas, les finance. Si tout établissement peut en déployer, il faut toutefois une autorisation de mise en œuvre. Si elle se félicite d’un boom de l’ETP depuis 20 ans, Sonia Tropé regrette toutefois le fait que le programmes se montent souvent de façon un peu industrielle.

« Cela n’a plus grand chose à voir avec l’esprit initial, lequel consistait à gagner en compétences pour améliorer sa qualité de vie. Désormais, les programmes visent surtout à garantir l’observance. Ils sont axés davantage sur le biomédical que sur le psychosocial », explique t-elle.

Selon elle, il faudrait des programmes plus « personnalisés », dans un contexte où le diagnostic éducatif est souvent trop « bâclé », si bien que l’évaluation n’est pas toujours faite comme il faudrait. « En tant qu’associatifs, nous avons une responsabilité à maintenir l’ETP dans les clous de ce qu’elle doit être », lance-t-elle à l’ensemble des associations de patients.

De multiples dysfonctionnements dans le système actuel

« Certes, l’implication de patients de plus en plus formés permet de réfréner les discours de certains professionnels de santé, qui ont tendance à sous-estimer certains aspects liés à la fatigue, à la sexualité, à l’activité professionnelle… », souligne Sonia Tropé. Il n’en demeure pas moins qu’il faudrait selon elle des « piqûres de rappel », pour mettre à jour les compétences acquises. Elle est également assez critique sur les formations à l’ETP, lesquelles ne se valent pas toutes. De ce fait, « Les programmes ressemblent souvent davantage à un échange entre pairs et à des journées d’information, qu’à de véritables « formations » basées sur la réflexivité. Même si les participants sont satisfaits comme ils le sont de journées associatives, ce n’est pas toujours de l’ETP. », note-t-elle. Sans compter que pour prodiguer un enseignement d’éducation thérapeutique, il faut soi-même avoir bénéficié d’un minimum de 40 heures de formation, ce qui, en soit, est assez peu ! Ces enseignements sont délivrés dans le cadre d’organismes privés ou par le biais de formations dans les CHU, comme peuvent en organiser les Unités Transversale d’Education Thérapeutique. « Il y a souvent une grande confusion entre ce qui relève de l’ETP et ce qui n’en relève pas », ajoute-t-elle. Enfin, c’est la question de l’évaluation qui pose aussi question à ses yeux.

« A l’heure actuelle, des auto-évaluations sont envoyées à l’ARS. Mais comment identifier des objectifs d’amélioration et aider ceux qui les rédigent s’ils pensent sincèrement que tout se passe très bien ? Sans un œil extérieur, comment garantir que les principes de l’ETP sont respectés et que le programme ne s’est pas transformé en journée d’information sur la prévention durant laquelle on répète aux patients qu’il faut faire de l’activité physique, ne pas fumer, manger équilibré… », analyse-t-elle.

Mais l’un des freins majeurs à la mise en place de programmes personnalisés est quand même la difficulté à mobiliser des professionnels de santé qui assurent souvent l’ETP sans être soulagés de leurs activités habituelles, sans reconnaissance particulière et sans valorisation… et donc indirectement le manque de financement est un problème récurrent. L’ARS réclame un minimum de patients inclus dans les programmes par année, mais dans le même temps, l’ETP réclame une approche qualitative. Un épineux problème !

Quid de la rémunération ?

L’un des grands débats au sujet de l’ETP semble être celui de la rémunération. « A l’heure actuelle, en règle générale les patients qui dispensent de l’ETP à l’hôpital ne sont pas rémunérés. En libéral, ils peuvent valoriser le temps passé. A l’ANDAR nous pensons qu’il faut à minima, que cela ne leur coûte rien, autrement dit que les transports et autres frais soient pris en charge », observe t-elle et bien évidemment pas sur le budget des associations. Pour autant, elle est assez réservée sur le sujet de la rémunération, laquelle risquerait de créer une discrimination positive en termes de recrutement et une vraie réflexion juridique doit être menée. Pour le moment, la participation de patients à des programmes d’ETP repose sur la base du volontariat et elle est motivée par l’envie d’aider les autres.

«Dans notre approche, s’ils le font au bénéfice d’autres patients, leur action n’est pas rémunérée. Elle l’est en revanche s’ils interviennent dans une école ou avec des professionnels de santé. C’est notre garde-fou », souligne Sonia Tropé.

A ses yeux, la mise en place d’une contribution financière pour accompagner d’autres patients pourrait générer des tensions entre patients et une sorte de « course aux contrats ». Autre question qui agite les spécialistes de ces sujets : le patient doit il intervenir dans des programmes uniquement liés à sa pathologie, ou toutes pathologies confondues. En ce qui concerne l’ANDAR, c’est la première option qui est retenue : « l’identification nous semble essentielle dans la légitimité du patient ». Mais elle est bien consciente que leur approche n’est pas partagée par tous…

Les 10 commandements de l’éducation thérapeutique

1 – Les pathologies chroniques, tu cibleras

Toutes les pathologies sont potentiellement concernées, même si l’ETP a été initiée dans le cadre de maladies dites chroniques. A y regarder de plus près, plusieurs maladies sont souvent citées : diabète, sclérose en plaques, maladie de Parkinson, insuffisance cardiaqueLes programmes d’ETP autorisés concernent ainsi pour 31% le diabète, pour 14% les maladies cardio-vasculaires et 10% les maladies respiratoires. 14% des programmes sont destinés aux patients polypathologiques. Des programmes d’ETP existent également en psychiatrie. Ils s’adressent aux personnes ayant des troubles mentaux ou à leurs proches. A noter qu’un principe d’éducation thérapeutique a même été initié pour des patients atteints de pathologies neurodégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer. En fait, tous les patients peuvent être concernés par un programme d’ETP : de l’enfance à l’âge adulte jusqu’aux âges avancés. Un programme d’éducation thérapeutique peut s’envisager dès l’annonce du diagnostic ou à tout autre moment de la prise en charge thérapeutique ou de l’évolution de la maladie.

2 – Une approche collaborative entre patient et professionnel de santé, tu rechercheras

Le processus même de l’ETP est pensé pour inciter une collaboration usagers/professionnels de santé en amont (co-construction, co-formation) et pendant les séances (co-animation, co-alimentation). La posture du soignant s’articule donc autour des notions de « partenariat de soin » et du « faire avec ».  Or, si le programme éducation thérapeutique met clairement le patient au cœur de sa prise en soin, le professionnel n’en est pas pour autant exclu, bien au contraire. C’est lui qui va accompagner la personne malade afin de l’aider à mieux comprendre sa pathologie et, donc à mieux la gérer. Encore faut-il cette fois ci que le professionnel de santé sache et soit en mesure d’écouter les patients, d’adopter une démarche centrée sur le patient et non pas sur la maladie, de prendre en compte la personne dans son environnement pour construire avec elle des solutions adaptées… Les programmes d’ETP peuvent ainsi être animés par des intervenants du secteur des soins (médecins, pharmacien.ne.s, infirmier.ère.s, kinésithérapeutes, psychologues, diététicien.ne.s, etc.), du secteur social (assistant.e.s sociales) ou sportif (éducateurs sportifs).

3- La ville, tu n’ignoreras pas

En France, plus de 80 % des programmes d’éducation thérapeutique du patient (ETP) se déroulent en milieu hospitalier. L’activité y est plus facile à mettre en place. Bien souvent, le modèle retenu pour développer l’éducation thérapeutique s’appuie sur des « programmes » conçus à partir d’une organisation hospitalière : majoritairement par des structures hospitalières de courts séjours. Les autres programmes autorisés quant à eux sont gérés par des services de soins de suite et de réadaptation pour 12%, et par des réseaux de santé pour 3% à l’hôpital qu’en cabinet de ville. Seulement 3,9% des programmes d’ETP sont assurés en ville par des maisons de santé ou des pôles de santé pluridisciplinaires, des cabinets libéraux ou des centres de santé.

4 – L’accessibilité, tu ambitionneras

Tout programme d’éducation thérapeutique est soumis à l’autorisation d’une Agence Régionale de Santé (ARS). Pour autant, autorisation ne vaut pas forcément financement, même si en général, le dispositif est gratuit pour les patients. Dans toutes les régions, ce sont donc les ARS qui répertorient les programmes d’éducation thérapeutique autorisés : en Ile-de-France, il existe une base de données accessible en ligne, appelée CART’EP. On peut y  faire des recherches par pathologie, secteur géographique, etc. ; en Nouvelle-Aquitaine, une liste des programmes est consultable en ligne sur le site de l’ARS ; en Auvergne Rhône-Alpes, les programmes sont répertoriés sur le site ephora.fr ; en PACA, la base de données Oscars est dédiée aux programmes d’ETP ; enfin, en Occitanie, patients et professionnels de santé peuvent se rendre sur mon-etp.fr.

A noter que de nombreuses actions et ateliers ne portent pas officiellement le nom d’ETP même si leurs objectifs sont identiques. La raison est simple : les équipes qui les mettent en œuvre n’ont pas obtenu ou cherché à obtenir l’autorisation de l’ARS.

Plusieurs facteurs favorisent le succès des programmes d’ETP auprès des patients : la gratuité, une grande accessibilité (plateforme web), la diversification des supports de formation (vidéos), et la pluralité des lieux d’éducation (domicile, espace public, structures ambulatoires).

5 – Un programme spécifique, tu proposeras

Le contenu du programme consiste en une série d’actions, de dispositifs et d’outils pour aider les patients à prendre soin d’eux, tout en favorisant leur implication dans les décisions et les actions qui concernent leur santé. Il ne s’agit pas de « cours » ni de « réunions d’information » mais d’une démarche basée sur une pédagogie originale et personnalisée. Cette démarche s’appuie en premier lieu sur les besoins, le vécu des personnes et leurs connaissances. Un premier entretien individuel (dit diagnostic éducatif ou bilan éducatif partagé) permet de comprendre les attentes, les questionnements, les difficultés de la personne. A cette occasion, des priorités d’apprentissage sont définies. Le patient est ensuite invité à participer au programme d’éducation thérapeutique à proprement parler. Un programme est composé de plusieurs temps d’apprentissage sur des thématiques différentes (maladie, traitement, vie scolaire, professionnelle, droits sociaux, etc.). Ces temps d’apprentissage prennent la forme de séances de 1 heure 30 à 2 heures. Ces séances peuvent être individuelles mais le plus souvent elles sont proposées de manière collective, qui présente le double avantage du partage et de l’apprentissage à plusieurs.

6 – Le savoir issu de l’expérience patient, tu valoriseras

L’implication des patients ou de leur entourage, non plus comme simple bénéficiaire mais dans l’élaboration des programmes ou dans l’animation des séances d’éducation enrichit l’ETP. L’intervention de ces derniers répond à une logique historique d’engagement des usagers dans le système de santé. Elle s’explique également par la reconnaissance d’un savoir issu de l’expérience. Cette expérience personnelle du patient ou de son entourage participe au développement des connaissances (savoirs), des pratiques (savoir-faire) et des comportements (savoir-être) constituant un apprentissage personnel significatif. Les savoirs issus de l’expérience (aussi désignés comme savoirs profanes) peuvent venir compléter des savoirs professionnels ou scientifiques (savoirs savants) en apportant des connaissances ou des astuces qui aident à adapter certains contenus théoriques aux situations de la vie courante.

7 – L’autonomie du patient, tu ambitionneras

L’éducation thérapeutique du patient repose sur le concept des « capabilités ». Autrement dit la liberté effective, concrète à engager des actions pour soi-même, pour améliorer son bien-être. Ou pour faire encore plus simple : la capacité à exercer un libre choix. L’éducation thérapeutique du patient est une partie de la réponse à cet enjeu d’autonomie des patients. Elle le rend acteur et responsable de sa santé en favorisant son autonomie. Elle est au service des droits du patient, de son information et de sa liberté de choix, sur les décisions de santé qui le concernent en intégrant une démarche d’empowerment.

Depuis 2010, en application de la loi, près de 4 000 programmes d’éducation thérapeutique du patient ont été autorisés en France.

8 – Des objectifs clairs, tu formaliseras

Avec l’éducation thérapeutique, le patient devient acteur de sa santé en s’impliquant dans la gestion de sa maladie. In fine, il sera par exemple en mesure de :

– mieux comprendre sa maladie et de l’accepter ;

– connaître les bénéfices et les effets secondaires de ses traitements ;

– connaître les mesures préventives à adopter : aménagement de l’environnement, prise d’un traitement préventif, etc. ;

– reconnaître une aggravation et savoir réagir de manière adéquate ;

– identifier les facteurs ou circonstances pouvant déclencher des pics de résurgence de la maladie pour mieux les éviter ;

– résoudre des difficultés liées à la maladie en vue d’améliorer la vie de tous les jours.

9 – Le programme d’éducation thérapeutique, tu optimiseras

Quel que soit le lieu du déroulement de l’ETP et les professionnels impliqués, les modalités de mise en œuvre exigent un niveau de qualité optimal. Une série de critères apparaissent ainsi indispensables pour une ETP de qualité :

– une démarche centrée sur le patient

– des contenus éducatifs approuvés (recommandations professionnelles, littérature scientifique pertinente, consensus professionnel) et enrichis par les retours d’expérience des patients et de leurs proches

– une intégration effective au traitement et à la prise en charge du patient

– une prise en compte des facteurs sociaux, psychologiques et environnementaux en vue d’améliorer la vie quotidienne du patient

– une réalisation par des personnes effectivement formées à la démarche d’éducation thérapeutique du patient et aux techniques pédagogiques, au travail en équipe et à la coordination des actions.

10 – Le programme d’éducation thérapeutique, tu évalueras

Cette évaluation (annuelle et quadriennale de chaque programme) est indispensable à toute demande de renouvellement auprès de l’ARS. Des indicateurs spécifiques ont été définis autour de trois champs : le fonctionnement, la mise en œuvre, la coordination. Ils visent à démontrer l’engagement de l’ensemble de l’équipe pédagogique dans une dynamique collective d’amélioration continue de la qualité.

Le cadre législatif de l’ETP

Depuis le 1er janvier 2021, les programmes d’éducation thérapeutique du patient sont désormais soumis à déclaration auprès des Agences régionales de santé, en remplacement du régime d’autorisation (Décret n° 2020-1832). Ils doivent être conformes au cahier des charges national fixé par l’arrêté du 30 décembre 2020 (annexe 1).

  • Fin 2020 : En région Île-de-France, 770 programmes d’Education Thérapeutique du Patient ont été autorisés. Ces programmes autorisés sont développés à 87 % dans le secteur hospitalier et à 13 % en ambulatoire. Cet état des lieux met en outre en évidence une autre disparité : 70 % des programmes dispensés le sont à Paris et dans les communes très voisines de Paris des départements de la petite couronne.
  • 2014 : La HAS propose un guide méthodologique destiné aux coordonnateurs et aux équipes mettant en œuvre un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) pour les aider dans leur évaluation quadriennale. Prévue par la loi, cette évaluation est une étape-clé pour leur demande de renouvellement auprès de l’agence régionale de santé (ARS).
  • 2013 : un décret (n° 2013-449 du 31 mai 2013) est édité, relatif aux compétences requises pour dispenser ou coordonner l'éducation thérapeutique du patient.
  • 2012 : La Haute Autorité de Santé propose un guide destiné à faciliter la réalisation de l’auto-évaluation annuelle. Il prépare ainsi à l’évaluation quadriennale de chaque programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP).
  • 2009 : La loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires a confié de nouvelles missions aux professionnels de santé ; le pharmacien est notamment concerné par l’Éducation Thérapeutique du Patient (ETP).

M-FR-00004270 – Etabli en août 2021

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